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DéC 07

Et quelle sera votre rémunération ?

A cette question inédite, à cet instant, je sens que quelque chose me dépasse dans cette rencontre.

Maela est arrivée il y a une trentaine de minutes, à 15 heures précises. Elle a la beauté des femmes des peintures de Gauguin, dans les îles de l'autre côté du monde… En entrant, ses premiers mots étaient :
- J'ai un problème avec le temps, mais aujourd'hui j'ai réussi à ne pas être en retard !
A cet instant, plutôt qu'observer comment Maela prend sa place, installer du creux dans la relation, je partage l'image qui surgit soudain :
- Peut-être que la femme qui voulait être en retard laisse la place à celle qui est présente maintenant.
- J'étais simplement impatiente de vous rencontrer !
Je comprendrai plus tard le sens de cette image étrange qui invite à moins de passé et plus de présent…

 

Notre rencontre se poursuit dans une belle énergie. Et, en même temps, je perçois comme une ambivalence, une énigme :
- Je suis médecin et j'exerce en libéral. Je me forme actuellement au coaching et je cherche un coach pour vivre le coaching de l'intérieur.
Je me souviens alors de son premier message : un confrère lui avait donné mon nom et elle hésitait entre coaching et supervision.
- Quand un coach accompagne un autre coach, c'est de la supervision.
- Non, je ne suis pas encore coach ! Et j'ai d'abord envie de vivre une expérience individuelle.
- Et quelle est votre demande pour ce coaching ?
- Je suis trop perfectionniste ; je voudrais comprendre pourquoi ! Pour ensuite réussir à lâcher ce besoin.
Maela me confie qu'elle a déjà fait un travail avec plusieurs psys à différentes étapes de sa vie sur d'autres sujets. J'ai ici la sensation de relations non clôturées. Comme la répétition d'histoires inachevées :
- Une forme d'imperfection déjà ?
- Non, j'ai certes terminé sans préavis, mais je sentais que c'était fini !
- Si nous décidons de cheminer ensemble, vous choisirez le nombre de séances. Et, si vous sentez que c'est fini avant, j'aurais besoin de prendre le temps de clore avec vous.

Un silence s'installe… Je regarde Maela, il fait froid dehors et elle porte un chemisier à fleurs. Je pense à nouveau aux peintures de Gauguin…
Quelque chose change brusquement :
- J'ai lu vos articles : vous accompagnez des dirigeants et des coachs. Mais, je ne suis ni l'un ni l'autre ! Alors je ne sais pas si vous pourrez m'accompagner ?
J'ai à nouveau cette sensation d'énigme ou plutôt de non-dit :
- Pour moi, la question est celle de l'envie : avons-nous envie de cheminer ensemble ?
- Autre chose me gêne : votre nom ! Et peut-être aussi vos origines ?

Je suis intrigué et aussi amusé car mon nom est propice aux projections ; j'aime alors en faire un matériau de travail :
- Vous m'en dites trop ou pas assez !
- Oui, là où je suis née, ce nom est celui d'une famille qui a colonisé l'île. C'est aussi l'histoire de l'esclavage. Et ma famille s'est construite de l'autre côté. Avez-vous un lien de parenté avec cette famille ?

L'instant d'avant Maela a fait allusion à une tranche d'analyse à La Réunion. C'était donc une invitation implicite ? J'ai alors voyagé un instant dans mon histoire. Cette fois Maela "m'invite" sans détour !
- Oui, mes parents sont nés dans cette île où les cultures se métissent. Et j'ai la chance d'avoir une double filiation, à la fois modeste par ma mère et noble par mon père. Ils ont rejoint la métropole, pour vivre ce qui, aux yeux de chacune de leur famille, à leur époque, était une mésalliance.
Aujourd'hui, je me nourris de cette double appartenance.

En partageant avec Maela cette partie de mon roman familial, je réalise que mon regard a changé : je ne me sens plus écartelé entre deux identités. L'histoire secrète en héritage et la mémoire douloureuse du rejet ont fait place à la sensation de racines profondes, métissées et nourricières.
Je regarde Maela silencieuse ; elle semble hésiter :
- C'est une histoire bien lourde… Et je me dis que nos romans personnels risquent d'interférer ? Des ombres risquent de s'interposer entre nous !
Maela touche juste : elle nomme les jeux transférentiels qui sont aussi au cœur de chaque relation de coaching. Et le transfert est comme un scénario inachevé : un retour dans le passé qui mobilise une énergie psychique, interfère avec le moment présent, empêche la rencontre... Le contre-transfert est la réaction du coach : j'ai ici envie d'aider Maela à "s'affranchir" de son histoire passée !
Maela revient vers moi avec une question surprenante :
- Et quelle est votre rémunération ?
J'annonce le tarif de mes séances et, amusé, je relève la formulation :
- L'usage est plutôt de parler de prix ou de tarif. La rémunération me fait penser à un employeur et son salarié.
Maela a un mouvement de recul :
- Mais pas du tout ! Ce mot m'est venu car j'exerce en libéral.
- Oui Maela, j'ai aussi ce statut et je parle d'honoraires avec mes clients… Peut-être qu'une partie de vous a envie de "m'assujettir" pour expérimenter une autre histoire ?
- Je ne comprends pas ?!
- Votre coach sera votre prestataire à votre service. Vous pourrez vivre la position haute. Ne pas juger ces ombres du passé permet de libérer une belle énergie. C'est peut-être aussi un pas vers l'imperfection !
Après un long silence, Maela me dit qu'elle rencontre bientôt un autre coach et que,
dans la foulée, elle me dira sa décision. Nous avons clôt notre rencontre ici.

Une rencontre qui m'a habité longtemps encore après. Que déciderait Maela ? Envisageait-elle de devenir coach ? Qu'est-ce qui l'animait alors ? J'avais envie de l'accompagner mais avec une intention, un projet : l'aider à se libérer du passé pour vivre le présent.
C'est comme si je ne l'acceptais pas d'abord dans son histoire. Une autre forme d'assujettissement.
Maela avait raison : le transfert les "interférences" étaient installées !

Maela m'a répondu quelques jours plus tard : « Je crains que nos histoires respectives n'interfèrent négativement dans le coaching que je souhaite entreprendre. Je continue donc mes recherches. »
J'ai remercié Maela d'avoir pris le temps de croiser mon chemin et de ce que j'ai appris de notre rencontre.

A retenir

  • « L'essentiel n'est pas ce qu'on a fait de l'homme mais ce qu'il a fait de ce qu'on a fait de lui. » Jean-Paul Sartre

  • « Le contre-transfert c'est la résistance du coach ! » Bob Bertolino

  • La rencontre peut-elle avoir lieu quand le transfert et le contre-transfert sont trop forts ?