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NOV 11

A la renverse

« Dès son origine, l'anagramme fut un moyen d'interroger les noms mais aussi les préceptes des livres sacrés. La kabbale en fit grand usage, prêtant à cet art des vertus révélatrices. Le monde pouvait accoucher d'un démon. Aux XVIe et XVIIe siècles, ce jeu savant s'immisça dans les cours d'Europe. Entre gens lettrés et courtois, il était de bon ton de trouver dans un nom propre une flatterie délicate ou une maligne satire.
Thomas Billon, gentilhomme provençal, fut un fameux anagrammatiste. Il eut de Louis XIII une pension de douze cent livres pour amuser la Cour. Sa glore dura sans échec jusqu'à ce que le poète Colletet y vînt porter atteinte par une moquerie, tenant "que tous ces renverseurs de noms ont la cervelle renversée". Hélas la sienne était bien trop d'aplomb ; l'histoire l'oublia.
Galilée, quant à lui, communiquait sous forme d'anagrammes certaines de ses découvertes ; c'était là un moyen de s'assurer la priorité de ses observations tout en les entourant de mystère. Enfin, la coutume s'établit, pour les écrivains et les artistes, de signer leurs œuvres par l'anagramme de leur nom.

Alors, l'anagramme ? Art divinatoire ? Art du compliment ? de la satire ? du secret ? En tout cas, une fiole de folie, c'est certain. »

C'est la préface d'un petit livre délicieux, écrit par un physicien et un jazzman, découvert ce week end chez la marchande : Anagrammes renversantes ou Le sens caché du monde, Étienne Klein et Jacques Perry-Salkow.

Comme un voyage à travers les sciences, l'histoire et les arts…

 

Extraits, en mots et en images, en rouge et noir :

La courbure de l'espace-temps

Grâce aux équations d'Albert Einstein,
on sait que la matière déforme l'espace-temps de l'Univers,
le courbe, le dilate ou le contracte.
En retour, l'espace-temps la fait doucement glisser dans ses propres trames.
Nulle frayeur dans ces gestes cosmiques, nul doute, nulle arrière-pensée.
Pas non plus de bousculade. Juste le

superbe spectacle de l'amour.

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L'entreprise Total Fina Elf

Spleen et littoral raffiné

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L'origine du Monde,
Gustave Courbet

Peints sans apprêt, un ventre de femme
au noir mont de Vénus obombrant l'entrebâillement
d'un con rose, un drap blanc froissé,
un téton encore tumescent. Tout laisse penser que le modèle
vient de faire l'amour. On imagine la belle qui se laisse noyer,
molle comme un pantin de son, les membres détendus, brisés.
Elle repose, tandis que la foudre admirable s'éloigne d'elle.
C'est le naufrage de l'après que Courbet semble avoir mis dans

ce vagin où goutte l'ombre d'un désir.

***

Anagrammes renversantes ou Le sens caché du monde, Etienne KLEIN et Jacques PERRY-SALKOW, Flammarion, Novembre 2011