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SEP 12

Les heures souterraines

La détresse silencieuse et l'ultramoderne solitude, l'absurde et la barbarie ordinaire, le désespoir au féminin et au masculin, en entreprise et ailleurs On pourrait croire que pour lire un livre comme ça, après Rien ne s'oppose à la nuit, ça ne va pas fort en ce moment ; mais non, pour voyager en compagnie de Delphine de Vigan, il faut avoir le moral bien accroché.
Un livre qui, une fois refermé, invite à partir loin de la ville, prendre un bain de forêt, écouter le chant du vent. 

 

Entre les pages : 

"Il s'est souvenu d'une autre fois, une de ces nuits où il percevait combien elle était loin, réfugiée dans l'un de ces territoires intimes auxquels il n'avait pas accès, combien il aurait pu aussi bien ne pas être là et que pour elle, à l'autre bout du lit, cela n'aurait rien changé. En silence, il s'était rhabillé. Au moment où il avait enfilé ses chaussures, elle avait ouvert les yeux. Il avait expliqué. Il ne trouvait pas le sommeil, il allait rentrer chez lui, ce n'était pas grave, d'ailleurs rien n'était grave, au fond. Elle avait fait la moue. Au moment de partir, il avait pris son visage entre ses mains, il l'avait regardée, il avait dit : je t'aime, Lila, je suis amoureux de toi.
Elle avait sursauté, exactement comme sous l'effet d'une gifle, elle s'était écriée : Ah non !" (p. 39).

"Pour goûter les spaghettis ou les haricots verts, elle trempe ses mains dans l'eau bouillante, d'un geste vif, elle ne sent rien. À croire qu'elle développe une forme de résistance à la douleur. Elle s'est endurcie. Quand elle s'observe dans le miroir, elle le voit bien." (p. 42)

"Elle rêve parfois d'un homme à qui elle demanderait : est-ce que tu peux m'aimer ? Avec toute sa vie fatiguée derrière elle, sa force et sa fragilité. Un homme qui connaîtrait le vertige, la peur et la joie. Qui n'aurait pas peur des larmes derrière son sourire, ni de son rire dans les larmes. Un homme qui saurait." (p. 139)

"Il lui a semblé que cette femme et lui partageaient le même épuisement, une absence à soi-même qui projetait le corps vers le sol. Il lui a semblé que cette femme et lui partageaient beaucoup de choses. C'était absurde et puéril. Il a baissé les yeux".

Les heures souterraines - Delphine de Vigan - 2009 - Editions JC Lattès

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