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JAN 14

Quel âge avez-vous ?

- Mais le coaching ce n'est pas censé servir à ça !, elle lâche soudain, coupée dans son élan par je ne sais quoi.
Et "ça" c'est son humeur sombre du matin qu'elle apporte là avec elle et qui lui colle à la peau ; et avec ça, son envie de pleurer. Et puis aussi tous les morts qui semblent l'entourer, qui peuplent sa mémoire.
C'est comme si elle vivait dans un cimetière, je me dis. Je pourrais lui demander "à quoi c'est censé servir le coaching ?" mais je préfère remonter à la source avec elle :
- Qui vous empêchait de dire votre humeur sombre ?, je lui demande.

- C'est tout le contraire, elle me dit du tac au tac. Cette humeur-là, elle était partout autour de moi. Ça suintait, ça rôdait ; dès le matin et tout le long du jour. C'était comme de l'amer sur la langue.
- De la mère ? je dis.
- Oui !, elle répond. Le goût de la mère qu'il me fallait ravaler, elle ajoute.
- Et le père dans tout ça ?, je lui demande.
- Il fuyait, il savait fuir ça, elle dit.
Et puis elle continue sa ballade au royaume des morts en faisant le détour par l'antichambre des maisons de retraite médicalisées. Jusqu'à s'épuiser un peu. Alors là, maintenant, elle me parle d'elle, de sa peur du naufrage qu'est la vieillesse, de la souffrance de vivre jusqu'à quatre-vingt-dix ans et plus peut-être.
Elle me fait penser à ma vieille tante.
- Quel âge avez-vous ? je lui demande alors.
- Quarante-sept, elle me répond étonnée.
- Étonnant cette égalité que vous posez : 47 = 90.
Et c'est alors que l'humour et le rire sont venus. Avec les gouttes de pluie qui dégoulinaient du plafond de verre sur le plancher, là, juste entre nous.

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