06
MAI 14

La mécanique de l'âme

- La semaine dernière, pendant les vacances, je rêvais beaucoup mais au matin je me laissais oublier tous mes rêves, je lui dis.
Et elle, là derrière moi, elle me dit rien. Je continue alors :
- Mais là, je me souviens bien de mon rêve de la nuit d'avant. C'est bizarre, c'est comme si j'avais préparé cette séance de rentrée ?

- Peut-être que je réponds à une injonction de vous, au fond ! Vous apporter mes rêves ?

- Un peu comme l'enfant dressé, forcé, jadis !?
- Si jamais j'avais une intention pour vous, alors vous feriez tout pour vous y soustraire ! elle me lance.
J'éclate de rire.
- Vous connaissez bien l'animal, je lui dis entre deux rires.
Et c'est fou ce fou-rire soudain ; c'est comme si ça me libérait de découvrir qu'elle n'attend rien de moi au fond. Et en même temps, je sais bien que ce n'est pas vraiment de moi dont elle parle là, c'est de la mécanique de l'inconscient.

*

Je conduis. Et il y a une femme à côté de moi. Il fait nuit noire. Les phares sont éteints mais ce n'est pas grave. Il y a un gros camion devant. Il me montre le chemin et je le colle alors. Et soudain j'ai envie de le dépasser. Alors j'accélère, j'allume les phares, je mets le clignotant, je me déporte. Et tout ça tout en même temps. Alors ça cafouille, ça dérape. La femme tout à côté de moi, crie, hurle. On vole plane. Et on finit dans un arbre hélas et à jamais.
Alors je me réveille.

*

J'ai fini par lui raconter mon rêve de la nuit d'avant. Et tout ce qu'il m'évoquait : un autre accident dans la vraie vie, sur une route de forêt en lacets, quand j'étais encore petit d'homme.
- C'est dangereux de dépasser, elle m'a dit.
Ça m'a apaisé un instant parce que ça donnait un peu de sens à mon rêve. Mais ça m'a agacé aussi :
- Certes mais je vais pas passer ma vie à me traîner dans la nuit noire et au cul des camions ! Même s'il paraît que je suis un "état limite".
- A quoi ça sert de mettre des étiquettes ? elle a dit, et puis elle est revenue au tout début du rêve, car c'est là qu'il y a une clé aussi :
- C'est vous qui conduisez cette fois, elle a dit.

La nuit d'après, j'ai aimé rêver que je savais conduire dans la nuit noire. Tous phares éteints et en scooter.

 

***

Photo : Des moulins à vent avec du papier à musique