02
OCT 14

Ca chauffe dans mon codir

Après ses vacances, elle est revenue une, deux et trois fois. Mais ça fait deux semaines qu'elle ne vient plus. La première fois, elle m'a envoyé un texto : "C'est la crise dans mon codir, ça chauffe ; alors je suis retenue". Elle a ajouté qu'elle était "sincèrement désolée". Mais la semaine dernière, rien. Et depuis, pas de son, pas d'image ! 
Moi, ça m'agace quand on me lâche. Surtout si c'est sans un mot. Alors, depuis, je rumine. Je me demande quoi faire ? Je dois faire un transfert massif sur elle, je me dis. Et elle, c'est peut-être ça qu'elle doit sentir au fond ? Mais là, je vois pas.

Je lâche tout ça sur le divan. Mais ma psy, là derrière moi, elle dit rien. Elle non plus.
- Pourquoi, vous aussi, vous dites rien ? je lui demande.
- Qu'attendez-vous que je vous dise ? elle me lance.
Je sais pas trop, au fond. Comment elle ferait, elle, peut-être ? Qu'est-ce qu'elle ferait si je revenais pas ? Mais elle veut jamais répondre à ce genre de questions. Elle me demande plutôt ce que j'imagine d'elle alors. C'est frustrant mais ça fait toujours surgir des craintes enfouies, des désirs planqués, que j'imaginais vraiment pas l'instant d'avant.Et puis là, c'est plutôt un cas de supervision, je me dis. Mais souvent ça a un lien avec mes histoires un peu tordues du moment, mes histoires de longtemps ; alors je continue.

C'est un peu comme la cliente à qui j'avais dit qu'elle était une "femme phallique". Vous vous souvenez ? je vous avais raconté. Vous m'aviez juste dit que c'était pas très sympathique de dire ça à une femme !
Et c'est vrai que la femme phallique elle avait pas du tout aimé. Vraiment pas ! Mais au moins, elle, elle avait pris soin de revenir pour me dire pourquoi elle arrêtait. Elle arrêtait parce que mon transfert "faisait trop de bruit de fond", elle a dit.

Avec l'autre femme qui est partie c'est différent. Mais c'était écrit d'avance au fond : "J'ai quitté mes trois psys d'avant !" elle m'avait lancé dès la première séance. Alors c'est vrai que je me mettais un peu la pression. Et elle se demandait si elle allait aussi quitter son homme. Et puis, au retour de l'été, elle m'a écrit qu'elle voulait vraiment s'engager. Elle a bloqué tous ses jeudis, de 13 à 14, jusqu'à la fin de l'année. "Et rassurez-vous, je ne vous quitterai pas de sitôt !" elle m'a écrit. "J'ai encore tellement de choses à travailler", elle a ajouté.

Et c'est peut-être ça mon transfert, avec elle : être rassuré ! Rassuré par la femme ! Alors c'est peut-être pour ça qu'elle revient pas celle-là. Et c'est logique au fond, si c'est ça c'est trop massif. C'est vraiment pas au client de rassurer celui qui l'accompagne !
- A quelle place elle vous met, quand elle veut vous rassurer ? c'est ça la question !
C'est ma psy qui enfin se met à parler. Je ne saurais jamais à quelle place elle me mettait la femme qui est partie mais ça m'a rassuré cette question-là !

Et puis je suis passé à autre chose. Enfin, je suis passé à ce qui me venait alors : un moment un peu oublié où j'aurais bien aimé être un peu rassuré au fond. Ce souvenir-là m'est revenu parce que depuis quelques jours j'ai très mal au thorax. Et cette douleur-là ça me rappelle ce jour en enfance, quand j'avais aimé gambader sur les échafaudages de l'instant posés par les maçons tout à l'entour de la maison. Cette balade avait le goût de l'interdit. Et puis soudain, là, sous mes pieds, une planche a cédé. Et je suis tombé. Immobile, longtemps, la tête au fond du ciel et le souffle coupé. Une éternité. Et puis un peu de douleur quand même ! Cette douleur qui bizarrement semble revenir aujourd'hui. Mais, plutôt que de crier alors, appeler la femme première, lui demander du secours ou simplement du réconfort peut-être, c'est la peur qui m'est venue. Et j'ai jamais raconté ça à personne. C'était il y a très longtemps. 

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