29
MAR 18

Contaminé

Des fois, j'écris des trucs dans mon mobile. C'est comme un journal de bord. Et, comme ça, je me laisse "contaminer" ou je prends un peu de distance, je fais des liens...

 

Lundi 5 mars

J'avais un rendez-vous téléphonique aujourd'hui avec la directrice de l'usine qui fabrique une bactérie. Enfin la bactérie elle se développe bien toute seule et en boucle fermée. Elle entre dans la composition de crèmes qui font aux femmes une peau plus douce.
Mais le souci dans cette usine, c'est que parfois il y a contamination. Alors, ça met à mal toute la production, et cela pendant plusieurs mois, le temps de décontaminer.

Et puis, il y a les équipes qui toujours, et depuis toujours, se montrent très hostiles à chaque nouveau responsable d'usine ou ingénieur qualité ou même l'expert en biotechnologies. Comme si c'était des étrangers tous ces gens-là. Là, c'est moi qui interprète.

Ou peut-être aussi que toutes les nouvelles méthodes de management qu'ils amènent avec eux, genre « lean production » ou « entreprise agile », c'est comme une contamination pour les équipes.
En tous cas ceux qui fabriquent entrent en conflit avec ceux qui dirigent. En face à face et par derrière. Oui, ils court-circuitent sans vergogne la boss en remontant auprès du big boss qui d'ailleurs n'est peut-être pas très clair dans ce jeu-là.
Alors j'ai proposé à la Directrice de prendre d'abord un temps pour regarder tout ça avec elle, de son côté. Ce que ça lui rappelle peut-être de familier dans son histoire à elle ces affaires de contamination, de triangulation, de conflit et même de rejet. Un peu comme s'il s'agissait, non pas de se décontaminer, mais de faire des liens, d'analyser. Et puis, après seulement, intervenir auprès de l'équipe, avec alors forcément un côté « contaminant » ou simplement « étranger ».
Oui, faire ça en deux temps, parce qu'elle était à fleur de peau, lors du premier rendez-vous, 
quand je questionnais les liens possibles avec son histoire personnelle et qu'elle commençait à percevoir des analogies inattendues, jamais vues, surprenantes avec ce qu'elle aime par ailleurs.

Mais finalement elle a préféré choisir un coach qui ne questionne pas tout ça, pas tous ces liens entre l'histoire professionnelle et le personnel. Parce que ça l'attirait beaucoup mais ça lui faisait peur en même temps.
Donc elle a préféré un coach d'équipe avec une méthode plus « rationnelle » et connue. Oui, même si bien sûr elle a déjà fait ça il y a quelques mois avec un consultant du big boss.

Les gens ne semblent pas savoir que l'étranger n'est pas dehors, non il est dedans. Et en boucle fermée alors.

***

« J'étais assis dans le compartiment d'un wagon-lit, quand, à la suite d'une secousse assez brutale du train, la porte donnant sur les toilettes attenantes s'ouvrit et qu'un monsieur d'un certain âge, en chemise de nuit, entra chez moi. Je supposai que l'homme s'était trompé, bondis pour le lui expliquer, mais compris bientôt avec ahurissement que l'intrus était ma propre image reflétée par le miroir devant la porte de communication… » Sigmund Freud - L'inquiétante étrangeté. 1919

« L'inquiétante étrangeté » est la traduction par Marie Bonaparte du mot allemand unheimlich, qui n'a pas d'équivalent en français ; Heim se rapporte à ce qui est familier et ausi à ce qui est caché. Et l'ouvrage de Freud a été réédité en 2011 sous le titre « L'inquiétant familier ».

Et ce thème-là c'est aussi sur « Les chemins de la philosophie », sur France Cultureavec bonheur : L'inquiétante étrangeté / L'inquiétant familier.