27
MAR 22

Par chèque ou en espèces

« Mais ils savent bien que ça finit toujours dans votre poche. »
C'est mon contrôleur qui me disait ça l'autre jour. Je ne parle jamais de lui par ici mais plutôt de ma psy. Tellement que, des fois, les gens m'écrivent en privé pour me dire qu'il faudrait vraiment que j'arrête avec elle, avec le divan, avec Freud, etc. Comme s'ils croyaient savoir pour moi de quoi il en retourne. Ça leur évite de penser à eux sans doute. 

 

Et donc, là, je parlais aussi de ma psy à mon contrôleur. Mais pas directement parce que je ne dois pas l'utiliser, lui, pour la contrôler elle. Non pas qu'elle soit incontrôlable mais parce qu'il n'est pas là pour ça, me dit-il. Je sais bien que ce n'est pas du tout ça le contrôle mais c'est tellement un micmac dans ma tête que, des fois, je voudrais rejouer tout ça entre eux deux. Comme en enfance avec mon père contre ma mère, alors que ce jeu-là ne marchait pas vraiment non plus. C'est d'ailleurs pour ça que je tente le coup avec lui. Et donc, là, je lui parlais d'une patiente qui, tout à la fin des séances, vient me chercher à sa manière. Oui, elle veut me régler « de la main à la main » ou « en main propre » comme on dit, alors qu'elle le sait bien, je lui ai dit dès le début, il lui suffit de poser son chèque ou les espèces sur la table de bois. Oui oui, là, sur la table tout simplement. 
 
J'imagine qu'elle ne comprend pas trop le pourquoi du comment de tout ça parce que moi-même je ne suis pas très clair au fond sur cette question-là. Il faut dire que je fais ici exactement comme ma psy. Par mimétisme donc. Et je ne me rappelle plus comment tout ça s'est mis en place avec elle. C'était il y a très longtemps et donc, depuis des années, je pose les billets sur son petit bureau de bois, tout à côté du divan. 
J'avais fait ça aussi la première fois, avec mon superviseur, par réflexe mais il avait aussitôt pris les billets pour les fourrer dans sa poche. Ça m'avait un peu choqué sa manière de faire, comme ça, sans détour et devant moi. Pour les autres psys, bien avant le divan, je ne sais plus du tout. Comme si je ne m'accrochais pas à ces détails à cette époque. Et donc la patiente semble tourner tout ça en dérision. Comme c'est la fin de la séance je ne dis trop rien, je ne questionne pas de quoi il en retourne pour elle alors qu'il y a sans doute des correspondances avec son histoire. Tout un micmac par exemple avec sa mère et l'argent. Une manière d'être en lien visiblement.
 
J'ai cherché des écrits de confrères sur ce sujet mais pas grand chose à part toutes les histoires sur l'analité et l'argent, sur l'importance d'une sorte de tiers-lieu entre le patient et le psy, l'absence de contact, de toucher, etc. Oui, bien sûr, on peut s'attacher à toutes ces histoires-là m'a dit mon contrôleur mais le plus important, pour lui, c'est que je trouve ma manière de faire à moi et savoir pourquoi je fais les choses comme je les fais. En fait, c'est un faux-ami le contrôleur – ce mot-là, je veux dire – il ne contrôle rien au fond. C'est juste un espace pour penser par soi-même.
 
Après cette séance-là, avec un nouveau patient qui commençait un travail, j'ai bien aimé ne rien dire de particulier. Il a posé l'argent sur le bureau et puis je l'ai mis dans mon portefeuille. Un peu comme mon superviseur alors, mais sans précipitation.
 
Et puis la femme qui voulait jouer à la marchande et au marchand avec moi n'a plus rien dit au moment de régler ses séances, comme si j'étais moins « chatouilleux » peut-être. J'avais utilisé cette image-là avec mon contrôleur qui pense que mes patients viennent me chatouiller précisément là où je suis crispé. 
 
– Au fait, pourquoi vous me demandez toujours de mettre l'argent sur votre bureau ? j'ai demandé à ma psy. 
Oui, j'ai quand même voulu mener l'enquête avec elle. Enfin sur elle. Je me suis souvenu que je lui avais parlé de ça à un moment donné. C'était au tout début, je lui disais alors que poser des billets, comme ça, après m'être allongé sur son divan, ça me faisait penser à une pass avec une prostituée. Oui, c'est un fantasme assez répandu, elle m'avait dit alors. Sauf que la prostituée prend l'argent au début, pas à la fin. Bref, là, j'imaginais qu'elle ne dirait rien, comme d'habitude. Mais bien au contraire :
 
– C'est différent avec chaque patient, elle m'a répondu. C'est vous qui avez mis ça en place, comme ça. Depuis le début...
 
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La photo, là, c'est à Madrid. J'aime beaucoup tout le micmac à l'air libre, comme ça.