03
MAR 23

Chez le coiffeur

Je sais pas si ça existe, mais c'est un peu comme un coiffeur qui n'irait jamais chez le coiffeur.
C'est à la coiffeuse, dans le salon près du théâtre, que je disais ça l'autre jour. Oui, elle prenait le temps de me peaufiner, aux ciseaux, à la tondeuse, ici et là – dans la nuque, autour des oreilles – et tout en même temps, elle me questionnait sur la psychanalyse.
Sans doute parce que la fois d'avant, j'avais évoqué un instant mon métier. Mais ça restait sans doute confus, parce qu'avec les produits L'Oréal juste devant moi – la laque souple Infinium, la pâte sculptante Tecni Art –, j'ai aussi parlé de consultations pour des entreprises parfois. Comme L'Oréal justement.

 

Alors que c'est le territoire des coachs, je lui disais. Mais des fois, on me demande de passer des sortes de « casting ». C'est en vidéo ou au téléphone, et au bout du compte je sais pas trop ce qui fait la différence, je ne cherche plus à savoir.
Les problèmes des gens prennent ici la forme de conflits, larvés, délétères, de rapports de pouvoir, un sentiment d'impasse, d'échec, le sommeil cassé, la fatigue chronique...
Et, face à ça, les coachs ont plein d'outils visiblement. Un peu comme de la laque sculptante ou de la pâte souple sans forcément chercher à savoir de quoi il en retourne pour eux-mêmes. Alors que si les gens veulent prendre le temps de parler – en associations libres, même si c'est pas si simple –, chacun peut commencer à retrouver des traces de tout ça, au fil de son histoire intime, dans sa légende familiale, dans les rapports de force peut-être entre ses parents et, de proche en proche, par identification, dans les bagarres dans la fratrie, etc. Une sorte de « code-source » à retrouver au fond.
Dans le hameau où j'habite, j'ai ajouté, il y a un berger qui n'a jamais coupé ni sa barbe ni ses cheveux. Sauf des fois, il se donne des coups de tondeuse à mouton, dans la nuque, autour des oreilles. Je voyais bien que, là, elle ne voyait plus trop où je voulais en venir. Moi non plus à ce stade.
Et donc, ce type-là n'a jamais tondu ses moutons. Et depuis des années, ses bêtes, enfin les femelles qui sont toujours plus velues, traînent des kilos de nœuds de laine, bien humide et crayeuse. J'en ai rajouté un peu en racontant qu'un jour ce gars-là s'était méchamment blessé. À la cuisse, parce qu'il voulait égorger un agneau pour Pâques.
À partir de là, la coiffeuse est partie aussi en associations libres. Plus ou moins. Oui, elle a commencé à parler de ses parents, surtout de sa mère, et de sa fratrie – c'est sa mère qui voulait quatre enfants –, et d'elle au milieu de tout ça, et puis de sa sœur qui est arrivée juste après. Je ne sais pas trop s'il y avait des bagarres entre elles deux mais ça ne lui faisait pas trop plaisir visiblement.
– Je vous mets un peu de laque souple ? elle m'a demandé. Parce que là c'était fini, visiblement.

Quand je suis passé à la caisse, elle a commencé à se chipouiller sa collègue qui était là, tout à côté, à lui coller un coup de tampon encreur sur la peau, sur le bras. Peut-être que, de proche en proche ou de loin en loin, tout ça la replongeait dans sa manière d'être avec sa sœur, j'ai imaginé.
 

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