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DéC 10

À fleur de neige

Elle dormait encore quand je l'ai appelée.
Oups ! Je me douche et j'arrive. Désolée ;-( m'a-t-elle écrit à travers les ondes l'instant d'après.
Et la voici déjà -
elle habite à quelques pas d'ici - tout de noir vêtue. Gracieuse comme une danseuse étoile.
Et maintenant elle savoure, une par une, les chouquettes encore tièdes que j'ai aimé acheter ce matin. C'était une envie, soudaine et inédite, d'ajouter des gourmandises aux rencontres du jour. Elle me demande un autre café. Une grande tasse de ce café italien.

« Ève, qu'avez-vous réussi en vous abandonnant si longtemps au sommeil ? » Elle fronce les sourcils. Je lui parle de clients qui oublient leur chéquier là-bas ou qui arrivent en retard ici. Autant de manières "d'attaquer le cadre" parfois. Aucun écho. Alors ça parle de ma peur d'être attaqué ! J'évoque encore ces "actes manqués" qui sont des réussites, des façons de nourrir un désir secret. Une énigme à découvrir aussi. De la surprise dans ses yeux cette fois. 
Quelques pépites sucrées filent entre ses doigts et roulent sur le parquet noir. Elle échange un regard
gêné contre mon sourire. Puis elle se lèche les doigts et les lèvres. Avec application. Comme un chat. Comme une enfant aussi.
«
Quelle est votre envie pour cette séance ? » Elle fronce encore les sourcils, retrouve son carnet à spirale au fond de son sac, tourne une, deux, trois pages, hésite, puis : « Juste me laisser aller, aujourd'hui. Me laisser porter, si c'est possible »
«
Ève, je prends soin de vous réveiller, de vous nourrir un peu… Je prends soin de vous… Qui s'est privé de ce plaisir avec vous ? » Alors soudain ses yeux se troublent et ses lèvres tremblent.

Puis, ce matin-là, entre les flocons de neige, sur la verrière, et les billes de sucre, sur le parquet, elle a découvert tout doucement comment trouver au fond d'elle-même ce qui jadis a manqué.

***