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FéV 08

Fusion et dé-fusion

« Comme le chant des sirènes pour les marins d'Ulysse, l'intimité suscite un désir profond et viscéral, auquel personne ne souhaite renoncer.
En même temps, l'intimité partagée exige le dépassement de peurs archaïques, telle la peur de la fusion-confusion, la peur d'être découvert, celle de s'abandonner à cette drogue affective à la fois attirante et dangereuse.
» Willy Pasini.

Cette ambivalence entre la peur et le désir d'intimité est au cœur du coaching : l'alliance entre le client et le coach est aussi un apprentissage de la dé-fusion...
Pour guider son client sur ce chemin "dangereux", le coach ne peut faire l'économie de la supervision et du travail thérapeutique, mieux encore, d'un espace qui conjugue les deux.

Partons à la rencontre de Maud
et de son coach qui n'arrivent pas à clore une séance le debriefing d'un coaching d'équipe...

- Alors, qu'avez-vous pensé de ma manière de conclure avec l'équipe en cette fin de journée ?
- Maud, que faites-vous quand vous faites ça ?
- J'aimerais simplement avoir votre retour : je me suis senti un peu décalée par rapport au groupe. Et vous ?
J'ai déjà répondu à Maud qui semble avoir un besoin insatiable du regard de l'autre...
Il doit être tard. La nuit est tombée. La journée a été dense
...

Maud est directrice d'un projet stratégique. Elle m'a sollicité pour accompagner ses premiers pas avec sa nouvelle équipe. Nous échangeons depuis un moment déjà sur cette journée. Je me sens fatigué maintenant.
Je tente de clore et, en même temps, je suis comme aspiré dans cette séance improvisée. Auparavant, j'aurais eu peur d'être envahi ou attaché et j'aurais interrompu le contact, plus ou moins brusquement. Aujourd'hui, je suis interpellé et amusé par ce qui se passe avec Maud.
Son appel à la symbiose s'est joué dès notre première rencontre ; j'ai partagé cela avec Maud : elle m'a alors confié qu'elle avait déjà fait un travail analytique avec plusieurs psys, qu'elle connaît bien son "scénario"
... qu'elle aimerait le quitter mais ne peut s'empêcher de le rejouer...
Maud me demande à nouveau mon écho sur la fin de la journée, alors je répète ma question :
- Que faites-vous quand vous faites ça ?
Maud semble m'interroger du regard, puis :
- Je crois que je cherche à vérifier la qualité du lien entre nous...
- Comme dans notre première séance !
- Oui, je tentais de vous séduire mais vous avez résisté. C'était nouveau pour moi !!
Maud est une jolie femme. Avec ses immenses yeux bleus, j'étais charmé, envoûté.
Ce qui était nouveau pour Maud c'est que je nomme ce jeu. Un jeu qu'elle provoque pour "s'attacher l'homme" et qui "finit toujours mal" !
- Vous avez peut-être trouvé, aujourd'hui, une autre manière d'être en relation...
La journée en co-animation a permis d'expérimenter une alliance d'une qualité étonnante : dans la confiance mutuelle et, en même temps, confrontante et créative. C'était modélisant pour sa nouvelle équipe, des experts affectés au projet et cherchant à marquer leur territoire, exister dans l'opposition... Cette alliance semble aussi contagieuse pour Maud :
- Je redoute que notre relation s'interrompe maintenant...
Maud détourne son regard. Je perçois sa tristesse et, en même temps, nous savons tous les deux qu'il y a là un nouvel appel à la fusion. Elle m'a appelé hier soir tard et j'ai découvert son message ce matin.
- Maud, quand vous vous projetez dans l'instant d'après, vous n'êtes plus en relation, ni avec vous, ni avec moi...
- Oui, et je sais d'où ça vient...
- Et, en ramenant votre passé dans le présent, vous évitez ce qui est présent. Et vous alimentez votre besoin.
- Je sais aussi ce que je projette sur vous !
- Nous sommes donc trois ici, ou plus peut-être, ce soir ?
J'aime travailler avec ces clients qui ont déjà fait un travail thérapeutique, le coaching permet alors d'utiliser ce qui se joue entre nous plus en conscience.
- Maud, je vais m'arrêter là maintenant... Nous avons notre prochaine séance dans un mois.
- Oui...
Un silence s'installe. Je pense à une question que j'utilise en fin de coaching :
- Pour clore, voici une question : à quoi renoncez-vous de positif, maintenant ?
Maud semble intriguée puis :
- Le mot qui me vient est la connivence entre nous.... Mais c'est quelque chose de plus fort...
Pendant un instant, j'ai envie de nommer l'alliance vécue cet après midi. Mais interagir ici serait entretenir la fusion ! D'ailleurs, Maud poursuit avec ses mots :
- Il y a, avec vous, une complicité que je n'ai jamais connue... Une complicité d'esprit, d'émotion, d'âme aussi... C'est une autre forme d'osmose où je me sens exister... C'est comme si vous me permettiez de me retrouver...
- Alors, je vous propose de prendre soin de ce lien, de cette complicité avec vous-même...
Nous nous sommes arrêtés là. Maud m'a accompagné jusqu'à l'ascenseur en silence et quand les portes se sont refermées, elle souriait...

Quelques éclairages pour "clore" ce billet :
La difficulté de clore, une séance, un coaching, est un marqueur du désir de fusion. Retrouver Amélie qui joue avec son sac, chahute son coach...
Le désir amoureux est parfois le symptôme d'une angoisse existentielle : la solitude, la finitude... Lire Et Nietzsche a pleuré, Irvin YALOM.
L'interdépendance, le "Nous d'alliance", est une forme saine de la fusion : « L'intimité "saine" implique une forte autonomie individuelle qui précède la confiance partagée. Accéder à l'intimité signifie se mettre dans la peau de l'autre sans perdre sa propre intimité. Cela signifie aussi la réception de l'autre dans son propre territoire intime sans se sentir envahi ou contaminé. » Willy Pasini, Eloge de l'intimité.