27
DéC 15

Pas trop de moi

C'était dans le bus, sur le chemin du retour de l'école. Il me coinçait au fond du car, me collait la tête contre la vitre et il me torturait pendant tout le trajet. J'étais en sixième, je devais avoir onze-douze ans alors. Il était plus grand que moi ce gars-là mais c'est pas à cause de ça qu'il s'acharnait sur moi ; c'est parce que j'étais bon élève ! Il était pas dans ma classe mais tous les élèves savaient que j'étais comme ça. Mais moi, si j'étais bon à l'école c'était pas pour me la péter, c'est parce que l'école c'était un refuge.

Il raconte ce souvenir-là parce que l'instant d'avant il me parlait d'un big boss de sa boîte, le Hapiness Chief Officer, un "fou furieux" qui se déchaîne contre chacun en réunion. Alors lui, chaque fois que ce directeur-là fait ça, il a envie de lui "péter la gueule". C'est vrai que c'est plutôt bizarre pour un spécialiste des ressources humaines (un peu comme un coiffeur devenu chauve), mais moi, quand on me raconte des histoires bien chargées comme ça, j'en reste pas là, pas sur la scène professionnelle. C'est pas pour éviter la charge émotionnelle mais parce que j'imagine que ça se mélange avec plein d'autres histoires personnelles, que ça vient de plus loin. Alors j'invite l'autre à faire un pas de côté sur le fil du temps, genre "Ça vous évoque quoi ?" (Je fais ça surtout au début parce qu'au bout d'un moment ça se fait naturellement, enfin en présence. Et aujourd'hui c'est la première séance pour lui). Donc, avec cette question-là et un peu de silence, il s'est souvenu de cette histoire avec le garçon cruel.

– Ça a duré plusieurs mois, il continue. Et, un jour, je l'ai retrouvé ce gars-là. C'était plusieurs années après, j'avais dix-huit ou dix-neuf ans. Il était avec une des filles du pharmacien de la ville, il sortait avec elle ; en amoureux, je veux dire. Et moi je m'étais toujours dit que je lui péterais la gueule le jour où je le reverrais, mais je l'ai pas fait finalement. Je sais pas trop pourquoi ?

18
DéC 15

A poils et à plumes

La prof de danse ici, juste en dessous de l'atelier, c'était une danseuse étoile du ballet de Yougoslavie mais un jour elle s'est blessée au genou. Et malgré plusieurs opérations elle ne pouvait plus danser alors elle a créé son académie à Paris. Et tout à côté de sa salle de danse, elle a plein de perruches et un perroquet apprivoisé, quatre chiens et plein de souris. Enfin les souris, elles vivent entre les planchers et les plafonds, donc elles sont à tout le monde et à personne à la fois. C'est une zone non-droit. Et elles aiment bien danser aussi, elles copulent et font pas mal de boucan la nuit toutes ces souris. Et c'est dangereux aussi parce que les rongeurs ça ronge les fils électriques et un jour ça pourrait faire un méchant court-circuit.
"Elles prolifèrent sans arrêt à cause des graines autour de la volière" dit le chasseur de souris. Il est chasseur depuis 1872 et c'est le meilleur du coin et de Paris. Et tous les mois, depuis deux ou trois ans déjà, il balance plein d'appâts toxiques et de pierres à venin dans les cachettes, dans les recoins, ici et à tous les étages.
Une fois, pour mieux les observer, il a glissé une caméra entre les solives et les lambourdes, genre comme pour faire une endoscopie. Mais ça n'a servi rien.
Et tout ça coûte une fortune, à la danseuse étoile, à tous les voisins et à moi.

 

15
DéC 15

Des mots qui sont tout un monde

… Doux à ta carnation comme un linge immatériel
Frais sorti de la malle entr'ouverte des âges
 

C'est fou, je trouve, c'est un bout de poème d'André Breton que j'avais aimé apprendre quand j'étais ado et que j'ai retrouvé l'autre soir sur le divan. Je l'avais appris pour personne, enfin juste pour moi, et ça m'est revenu sans le chercher quand je cherchais tout autre chose : le souvenir d'un contact premier, d’un touché peau à peau, originel.

Je cherchais ça dans ma mémoire parce que parfois il y a encore tant de violence sourde en moi et à fleur de peau. Alors, ce soir-là, je me disais qu'il y avait forcément aussi du doux et que ça pourrait être un antidote à tout ça peut-être.

Et c'est d'abord un drôle de mot qui a surgi, un des mots du poème de Breton : carnation. Il est pas engageant ce mot-là, il est très rugueux. Il m'évoque la carne ! Même si, emballé dans la poésie surréaliste, ça l'attendrit un peu.

– Et pourquoi c'est pas les mots chair ou peau qui vous viennent ? m'a demandé ma psy (parce que, pour elle, le peau à peau des origines c'est plutôt la mère et son enfant.)

10
DéC 15

Graine de psychopathe

"Vous cherchiez peut-être à la faire sortir de ses gonds ?"
C'est cette question de ma psy, l'autre jour, qui m'a fait retrouver une page oubliée de mon journal intime. Enfin, "journal intime", là, c'est une manière de parler parce que, jusqu'à ce jour, je n'ai jamais raconté ni écrit cette histoire-là.

C'était pendant un repas du soir. C'était l'été, je crois. J'avais onze ou douze ans. Nous étions tous à table et j'ai glissé une épingle dans un morceau de pain. J'ai fait ça bien en douce, sous la table, pour ne pas être vu. C'était facile avec toute l'agitation pendant les repas toujours. Je ne sais plus trop d'où elle venait cette épingle-là, – c'était une épingle de bureau avec une tête triangulaire , 
– et j'avais dû bien préparer mon coup alors. 

07
DéC 15

Désirs & Défenses

« Après les associations libres, à fleur d'inconscient, et puis les voyages à travers l'espace et le temps, immobiles mais décloisonnés toujours, allons un pas plus loin ce soir et dans les coulisses de l'accompagnement : désirs & défenses, pulsions & inhibitions, en coaching comme ailleurs ; et plutôt du côté de nos défenses, de nos "mécanismes" intimes et originels que nous tricotons dans nos relations ; pour empêcher ou fuir nos désirs justement…  »

C'était vendredi soir à Paris 2, pour le Master Coaching, 3ème séance de supervision en groupe. Et ce thème des défenses, j'ai proposé de le défricher en mode voyage, toujours, et autour des "premières fois" :
 . Voyage en terres de coaching : rencontres préliminaires ou préalables, avec ou sans rituels alors
 . Et puis voyage aux origines…  peau à peau, peut-être, ou autrement…

Et c'est d'abord le désir que certains étudiants auraient voulu explorer ce soir-là et pas du tout les défenses. Mais moi, je me suis défendu, enfin j'ai tenu bon alors !

01
DéC 15

A l'heure de l'apéro

Il y a un truc que j'ai envie de faire sur le divan, là, mais je n'ose pas vous le dire parce que c'est un peu fou, c'est déplacé et je ne sais pas trop si ça se fait ? 
– … ?!
– Si ça se fait de le dire, je veux dire, pas forcément de le faire ?
– … !??
Là, je mets des points d'exclamation et d'interrogation sur son silence mais je crois que ça la surprend pas au fond ce genre de pensée. Je continue alors :
– Je pense à ça depuis plusieurs séances, mais plus j'essaie de le garder pour moi ou au contraire de le chasser, plus ça m'accroche ! Alors je vais vous le dire. 
– Oui, du moment que vous ne faites pas ce que vous dites, ici vous pouvez tout dire.