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MAI 09

« Quelque chose de spécial? »

« Comment l'intimité avec ma psy respecte-t-elle la fidélité à ma compagne de vie ? Quelle différence avec l'intimité du couple ? Comment s'assurer que la conscience des événements ne nous fasse pas défaut ? »

Ce sont les questions de Laure, coach en devenir, à la lecture du billet « Ça va être long ! »
Ces questions sont rarement abordées dans notre métier. Elles pointent pourtant ce que Laure nomme ce « quelque chose de spécial qui doit se tenir au cœur de vos rencontres… » Au cœur, je crois, de tout métier d'accompagnement, au cœur de chaque relation. Sinon, il n'y a pas de relation.
Alors, plutôt qu'une réponse en commentaire, je partage ici différents regards et échos sur ces thèmes.

 

Ce « quelque chose de spécial » dans chaque relation est ce que nos aînés, les psys, appellent les « jeux transférentiels » : le patient projette sur son thérapeute une figure passée ou présente, désirée ou détestée, aimable ou rejetante. C'est le transfert. Et, face à ces demandes d'amour ou ces attaques, implicites ou explicites, le psy réagit, interagit, en conscience, à partir de ce qu'il est. C'est son contre-transfert.
Ce double mouvement est naturel. C'est le moteur de l'alliance et du travail : le thérapeute accompagne le patient dans la prise de conscience de ses scénarios répétés, anachroniques, pour qu'il s'en libère et crée du nouveau dans la rencontre avec soi, avec l'autre.

« Si la relation véritable implique que chacun aime l'autre en tant que ce qu'il est, selon l'expression de Ricœur, alors le chemin qui y mène sera probablement long mais n'est-il pas le but même de la psychothérapie ? » Alain Delourme, La distance intime.

Transfert et contre-transfert sont aussi présents en coaching. Je raconte, ici et là, comment ces matériaux sont précieux pour le coach et son client : Etre l'ami du coach ? ou Qu'y a-t-il dans le sac d'une femme

J'ai eu envie d'aller un pas plus loin : écrire ce qui se passe pour un coach, pour moi, de l'autre côté, quand je suis accompagné.
J'ai d'abord raconté mon cheminement sur la différence entre la passion et l'amour : A la folie… Pas du tout !
La passion c'est la dynamique du manque, de la fusion, du désir de posséder l'autre. Quête douloureuse et sans fin, impossible et épuisante. J'ai alors mieux compris mon côté tragico-romantique !
L'amour c'est donner et recevoir, c'est l'accueil joyeux et serein de l'autre, de la vie.
C'est ce que je découvre avec cette femme en thérapie.
Et j'ai pris conscience que, depuis des années, patiemment et malgré moi (!), la douce compagne de ma vie m'initie aussi à cette forme d'amour.

En écho à l'intimité du couple et des liens avec la thérapie, j'ai aimé retrouver ces lignes de Christiane Singer :
« Dans le cas des époux c'est l'intimité des corps et des vies, les nuits et les jours partagés, qui donnent accès à la vérité de l'autre. […]
Cruellement en apparence, et avec une intuition souveraine, l'autre (j'ose dire à son insu même) travaille à ma délivrance ! […]
Ce qui rend le mariage si lumineux et si cruellement thérapeutique, c'est qu'il est la seule relation qui mette véritablement au travail.
Toutes les autres relations aventureuses et amicales permettent les délices de la feinte, de l'esquive, de la volte-face et de l'enjouement. » Eloge du mariage, de l'engagement et autres folies

Heitor O'Dwyer de Macedo, un auteur que j'évoque ici, considère que la qualité du lien thérapeutique est de l'ordre de l'amitié : « La matrice de l'amitié est la même que celle du transfert, et cette matrice est une relation qui permet d'éprouver la solitude comme un lieu où il fait bon être. »
Il évoque aussi le plaisir du travail sur soi : « Ce qui procure du plaisir et de la joie, c'est la victoire sur les processus de destruction (Thanatos) qu'obtient toute pensée formulée sur la cause psychique des souffrances.
Voilà pourquoi, selon moi, toute vision tragique de la cure, faisant l'impasse sur cette jubilation de la pensée, aboutit finalement à une conception doloriste, sentimentale, religieuse de la psychanalyse. » Lettres à une jeune psychanalyste.

Alain Delourme parle de tendresse, de « tendresse partagée » : « La véritable mutualité se rencontre essentiellement en amitié et en amour. […] Mais les mots amitié et amour, et les sentiments qu'ils désignent ne me semblent pas pouvoir être utilisés directement et au sens plein pour qualifier la relation entre patients et thérapeutes. C'est alors la tendresse qui constituerait l'étayage sentimental de ce lien particulier. C'est la tendresse réciproque qui transformerait la neutralité du lien professionnel en alliance véritablement thérapeutique, c'est-à-dire favorable au changement. […]
Ce qui est demandé au psychothérapeute n'est pas seulement une relative neutralité mais aussi un engagement affectif clair et réfléchi, sans confusion avec un quelconque copinage ou un désir amoureux. » La distance intime, Tendresse et relation d'aide.

Enfin, pour comprendre comment le psy s'assure que « la conscience des événements ne lui fait pas défaut », lire l'incontournable Irvin Yalom : Le bourreau de l'amour, Mensonges sur le divan…

Voir aussi le film de Patrice Leconte Confidences trop intimes. Quand une femme, pour confier ses déboires conjugaux à un psy, se trompe de porte…