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AOU 07

Récits de divan

J'aime les livres qui racontent des histoires : les histoires donnent forme et sens à l'expérience humaine et permettent d'apprendre, simplement, comme par imprégnation...
"Récits de divan, propos de fauteuil" est un livre sur la psychanalyse qui se lit comme un roman car ce sont ici les "clients" les patients qui parlent à la première personne et nous confient leur histoire, leurs maux de l'âme, leurs découvertes...
Un livre co-écrit par une journaliste spécialisée en psychologie, Sophie Carquain, et une psychologue clinicienne, Maryse Vaillant.
Original, passionnant, sans jargon et d'une belle qualité dans sa conception, son propos et son écriture.
Le livre est construit autour des récits d'analysants, homme et femme, DRH, avocat, enseignante : onze histoires écrites à la première personne, onze parcours singuliers depuis la rencontre avec le psy jusqu'à la fin de l'analyse, en passant par l'émergence et le dénouement du transfert et les séances cruciales - séances vérité, séance de silence ou de frustration, séances d'émotions...

Ces histoires sont regroupées par thème clé : l'emprise maternelle, la quête du père, les impasses du corps, la question du deuil et le poids de la famille.
Chaque récit dessine aussi en filigrane le portrait singulier d'un psy ; certains sont mutiques, d'autres "bavards", certains se plantent, d'autres gèrent difficilement leur contre-transfert ou leur colère ! Deux psys témoignent aussi de leur propre parcours sur le divan.

Les "propos de fauteuil" sont des éclairages sensibles et didactiques sur le cadre et les règles analytiques, les processus au cœur de la cure, le transfert et le contre-transfert, la répétition des scénarios, la guérison...
Autre apport original : des écrivains, des acteurs, des artistes connus témoignent sur leur expérience personnelle du divan et aussi sur les relations entre la psychanalyse et leur pratique.

Ce livre est destiné à ceux qui se demandent comment "la psychanalyse peut changer la vie" - c'est le sous-titre !
Il est aussi passionnant pour les confrères qui aiment revenir aux sources de notre métier ou l'éclairer avec des modèles différents...


Extraits : Récits de divan : Salomé, Analyste financière, p. 84
« Je comprenais aussi que le fait d'avoir vécu sans symbolique, sans accès à la Loi, au fond, rendait difficile tout respect de la hiérarchie. En l'absence de mon père, j'avais développé une sorte de tic : transformer les relations professionnelles et hiérarchiques, avec les hommes surtout, en relations intimes, affectueuses. Plonger dans l'affect ! Parce qu'il me fallait à tout prix être aimée, je cherchais systématiquement mes pères de substitution - mon boss, mon président. Et ce qui est arrivé avec eux s'est bien entendu aussi produit en analyse... A chaque fin de séance, au moment où je quittais le fauteuil de la patiente, je m'ingéniais, sans en être consciente, à le séduire. Je le mitraillais de questions sur lui. "Avez-vous des enfants ? Vous êtes psychanalyste depuis longtemps ?", etc. Sur le pas de la porte, dans un espace "hors séance", comme si nous étions alors délivré du cadre, il me répondait volontiers. »

Propos de fauteuil : L'emprise du corps, p. 204
Isabelle refuse la proposition de sa psy de s'allonger. Pourquoi le divan fait-il si peur, parfois ?
« On peut imaginer que le divan terrorise à cause de la position couchée souvent associée à la mort, à la maladie ou à l'amour. Autant de scènes angoissantes pour celui qui peine à vivre sa vie. Peur du lit et du sommeil, peur du noir. Peur de l'hôpital ou de la mort. Peur de s'offrir et peur des rapports sexuels. La position couchée réactive toutes les angoisses liées au lit. En plus, en position allongée, on ne voit plus son thérapeute. On peut avoir le sentiment de moins bien le contrôler. On peut craindre aussi de moins diriger son propre discours. Etre allongé, presque détendu, voire relâché, pour certains, c'est l'horreur ! C'est pourquoi s'allonger peut être refusé par ceux qui veulent garder la maîtrise  de leur cure en gardant la maîtrise de leur parole. »

Sophie Carquain et Maryse Vaillant, "Récits de divan, propos de fauteuil, comment la psychanalyse peut changer la vie", Editions Albin Michel, 2007, 371 p., 20 Euros.
D'autres extraits, la première "histoire" du livre et les ouvrages des auteurs sur le site des éditions Albin Michel