31
MAI 13

En moins bien

« Essayez-ça ! » il m'a dit en me tendant ce livre-là ; en douce, comme un dealer amoureux de sa came. Et ce livre, il est allé le chercher dans un rayon particulier, pour moi qui cherchais un roman qu'il n'avait pas et que j'ai oublié depuis. Et il a ajouté, comme s'il écrivait là, en live, la quatrième de couverture : « Tout simplement déjanté et féroce, tragique et abrasif ! »
Mais pourquoi alors il me passait ce livre, à moi qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam ?

Peut-être parce que dans ces pages, il y a une biche psychopathe et blessée, une femme belle comme une apparition. Une épidémie de suicides sur une dune qui chante. Un allemand qui tourne en rond au pied de la dune. Un ange dépravé. Un pélican hargneux tellement il est affectueux. Une Chevrolet Impala rouge qui feule comme un chat. Un narrateur qui a le don inouï d'attraper les étoiles au lasso.

Ici tout est fictionnel autobiographique. Et ce livre, c'est comme une étoile attrapée au lasso. Une fable sur la vie, l'amour et la mort. Vraiment déjantée et féroce ; comme la vie, l'amour et la mort. À savourer encore et encore.

En moins bien, Arnaud Le GuilcherStéphane Million Editeur.

 

Extraits :
Il paraît que quand on fait l'amour à l'élue de son coeur, « on serre la paluche de Dieu ». Dieu et bibi, on n'a pas tardé à être potes. Je ne sais pas si c'est ça la passion mais si c'est ça, c'est bien. Plus fort que ça, de toute façon, je ne vois pas.

*

Elle a penché la tête de quinze degrés vers la gauche. Ça devait être sa position d'écoute. Elle était maquillée : ses cils décrivaient un arc vertigineux, bâtissant un petit préau protégeant de la lumière les ténèbres planquées dans ses yeux. Sa bouche était rouge sang et lançait des reflets humides qui disaient « Goutez-moi. Goutez-moi ».

*

Quand on est gamin, on nous vante les mérites de l'amour passion. Il y a dans l'obstination à nous faire avaler de telles conneries le même acharnement que dans un exercice de propagande. Le coté romanesque des balades enamourées le long d'une plage, la fille avec des cheveux longs, le garçon avec un pantalon en toile écrue et un pull beige sur les épaules. Le nuits d'amour avec Barry White en musique de fond, les diners aux chandelles, les bourriches d'huîtres et le tarama d'oursins. Les enfants blonds et la voiture neuve. La maison coloniale et le labrador. Personne ne nous parle du service après vente : la désillusion, les sentiments d'abandon et de solitude dans lesquels on plonge, invariablement, quand l'amour se fait la belle, quand l'autre découvre les bras d'un inconnu et s'y sent mieux que dans les nôtres. Personne ne prévient les enfants que l'amour, c'est des pleurs, des trahisons, de la douleur, et un nœud dans le ventre qui ne part jamais vraiment. Que l'amour c'est un cauchemar quand il tourne court, que c'est du chagrin qui dure, et pas juste un cliché de catalogue Ikéa…

*

Arrière-petit fils de loser, petit-fils de loser, fils de loser, et loser moi-même, je m'étais juré de faire cesser ce fiasco. […] Le premier qui briserait la malédiction familiale, ce serait moi… Mes enfants auraient du bol : ils partiraient pas de bien haut, mais au moins ils auraient pas les ailes pétées. 

***

Sur facebook : Arnaud Le Guilcher & Stéphane Million