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NOV 13

L'étoffe dont les rêves se tissent

Tu entres dans mes rêves
par la porte du jardin.

*

- Dis, quand tu étais enfant ? 
- Oui ? 
- Tu avais des rêves toi ? 
- Oui, je voulais devenir berger
- … !?
- pour fuir le monde d'alors et d'après. 

*

Je prends un bain et je dois me cacher. Car il n'y a pas vraiment de murs dans cet appartement sous les toits. Et ça s'agite autour de moi ; ou ça fait la fête, je crois. Et il y a deux femmes que je connais si bien et puis, dans l'appartement d'à-côté, sans cloison, un jeune homme ami.
Et l'une des deux femmes m'apporte un drap de bain.
Et elle là, derrière moi, une fois que j'ai fini de lui raconter ce rêve de la nuit d'avant qui ne m'évoque rien, elle prend soin d'évoquer un instant l'étrange mécanique des rêves : un pied toujours dans le passé et un autre dans le présent. La femme qui peut cacher un homme. Ou bien l'inverse. Et le jeune homme qui est peut-être un enfant… Et pourquoi j'ai choisi cet ami ? Et puis ce lieu ? Comme une algèbre intime et universelle de l'inconscient.
Alors moi, là, je commence à m'agiter et à m'inquiéter parce que le temps de la séance passe et c'est comme si elle m'embrouillait les pistes quand elle multiplie ainsi les chemins et les sens du rêve. Et, en plus, ce rêve-là je vois bien à présent qu'il s'emmêle avec un souvenir d'enfance, quand j'étais petit d'homme. Avec de la violence à l'entour. L'homme de l'autre côté de la salle de bain qui brandit un couteau et menace la femme.
Elle, elle dit que cette violence-là c'est aussi comme une scène sexuelle. Mais si elle continue comme ça à ajouter du sexe partout et puis le mélanger à la violence, il me faudra encore des plombes pour résoudre cette énigme-là.
- Vous semblez impatient, me lance-t-elle, d'accéder à l'un des sens de votre rêve.
Et moi qui souvent mets des mots de moi à la place de ses mots à elle à peine sortis de ses lèvres, j'entends ici "accéder à l'indécence de votre rêve". 
Et j'aimerais tellement trouver le sens de ce rêve-là avant qu’elle me mette à la porte.

***

Photo : Chema Madoz