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JAN 16

Le voleur n'existe pas

"Et maintenant, vous allez signer que le voleur n'existe pas."
Elle rigole ma psy quand elle m'entend dire ça. Là, je lui raconte un bout de l'histoire du Vélib' que l'autre jour j'avais attaché devant le Carrefour Market, boulevard Rochechouard, mais qu'un malfrat a volé en moins de deux minutes, le temps de faire une course. 

Je lui raconte ça pas pour la faire rigoler ni pour me plaindre (ça c'est déjà fait) mais parce que, sur le moment et puis après, j'ai fait genre "C'est pas grave" mais soudain c'est revenu sur le divan parce que dans mon histoire il y a pas mal d'histoires de toutes les couleurs ou tordues, insolubles ou absurdes et comme des énigmes (des histoires autour de l'argent, avec de la violence, et puis des liens importants et normalement affectueux, je trouve, mais coupés à jamais…).

"Et c'est difficile de trouver un peu d'ordre dans tout ça ?!", me dit ma psy. Oui, et donc je lui raconte qu'il me fallait porter plainte à la police comme m'avait dit la femme du call center, parce que sinon ça me coûterait la peau des fesses et je pourrais plus faire de Vélib' (je crois que je fais près de 1500 kilomètres par an pour aller sur le divan et retour).

Bien sûr, je rentre pas dans tous ces détails-là avec ma psy, je lui raconte juste que la jeune policière quand elle me demande si je saurais identifier le voleur moi je lui dis oui et, une fois la plainte rédigée, elle tourne son écran vers moi et elle me propose de répondre en direct à un questionnaire genre QCM et portrait robot (je comprends que c'est une base de données avec dedans tous les malfrats du quartier et du moment). C'est elle qui tape sur son ordinateur et moi, je réponds du tac au tac à ses questions sur la taille du gars, la forme de son visage, ses cheveux, la couleur de sa peau, ses vêtements, son âge, etc, etc.
Parce que je l'ai bien vu le voleur : il ressemblait à Bob Marley, mais en version méchant quand il battait sa femme, et il a essayé de m'intimider quand j'attachais le Vélib' au poteau mais alors j'ai fait genre je le vois pas. Oui, c'est Eva qui un jour m'a suggéré de ne pas toujours regarder les gens bizarres dans la rue, ni par en dessous ni de biais, parce que sinon je risquais d'avoir des ennuis avec l'un d'eux. Parce qu'elle s'y connaît Eva en psychopathologie et elle sensibilise les coachs à ça à la fac. Alors maintenant moi, je regarde plus trop les gens bizarres dans la rue (d'ailleurs je sais pas trop pourquoi je faisais ça avant ?).

Et, à la fin du questionnaire, la policière appuie sur OK, l'ordinateur mouline, et elle me regarde avec un sourire et du suspens. Et maintenant vous allez voir ! elle me dit (comme si elle était un peu magicienne). Mais ça a fait un gros flop et un silence. Là aussi c'était genre ERREUR 404. Y'avait personne dans tous ses fichiers qui répondait à mon portrait robot, enfin pas moi mais le suspect. Elle semblait vraiment déçue la jeune femme et elle a dit que c'était jamais arrivé ça (alors que des fois il y a près de 200 photos à la sortie et ça prend des plombes d'identifier le voleur dans tout ça). Et donc j'ai signé que le voleur n'existe pas (enfin pas dans la base). Et pourtant, le vigile devant le Carrefour Market il m'a dit qu'il l'a vu aussi le type : en quelques secondes et malgré l'antivol, il a arraché le vélo au poteau.

Et c'est un peu à l'image de ma vie ça, je me suis dit. C'est surnaturel des fois mon histoire.

J'ai envoyé une copie de ma plainte à Vélib à Plaisir, avec la clé qui m'était restée dans la main et tout ça en recommandé mais, dans les jours qui ont suivis, j'ai eu un peu peur qu'ils refusent puisque j'avais signé que le voleur n'existait pas. Mais maintenant ça va, tout est rentré dans l'ordre côté Vélib'.

Et pour le reste, pour les histoires un peu folles de mon histoire, c'est comme si c'était plus trop la peine de chercher une logique à tout ça à présent. 

***

Photo : Au fil de l'Ourcq. Un Vélib' dans le canal Saint-Martin