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FéV 16

D'après une histoire vraie

J'avais tellement aimé Rien ne s'oppose à la nuit, cette autopsy par l'écriture des liens familiaux et d'une forme de fabrique de la folie, alors quand j'ai vu le nouvel opus de Delphine de Vigan, j'ai craqué.

Ce roman-là, D'après une histoire vraie, c'est comme un thriller psychologique ; impossible de le lâcher tellement la tension monte au fil des pages (presque 500 pages quand même ! jamais lu un livre aussi gros).
Mais, est-ce la suite de la saga familiale (Delphine reçoit des lettres de menace
) ou bien un délire privé (Delphine déprime, s'enferme) ? Est-ce pour de vrai ou une fiction ? Impossible de savoir. Et c'est ça aussi qui accroche et qui nous tient, comme une énigme et jusqu'à la fin.

Parce que c'est aussi une lubie de notre époque « cette fascination extrême de notre société pour le vrai, "vrai" à la télé, "vrai" au cinéma, "vrai" dans l’écriture" », dit la romancière dans ses interviews du moment mais en nous laissant avec l'énigme toujours.

Ce livre est inspiré de Misery, le roman-cauchemar de Stephen King, où un écrivain à succès se retrouve à la merci d'une infirmière qui adore son oeuvre… jusqu'à la folie.

Mais c'est aussi d'après une histoire vraie, celle de l'auteure, qui mêle à son récit des "personnages" de sa vie d'aujourd'hui : Louise et Paul, ses deux jumeaux qui quittent le nid maternel (elle a effectivement deux enfants mais c'est pas des jumeaux) ; François, son amoureux, qui est producteur et présentateur d'émissions littéraires et qui se demande aussi si Delphine délire (François Busnel, le critique littéraire, est son compagnon dans la "vraie" vie)

Alors jusqu'à la dernière page et même après, on ne sait pas, on ne sait plus, parce qu'on a beau vouloir démêler le vrai du faux, c'est toujours sur la même corde qu'on tire.

Et, là, quelques morceaux des pages que j'ai aimé corner.

… Il y a une grande différence entre ce que tu ressens, la manière dont tu te perçois, et l'image que tu donnes de toi. Nous portons tous la trace du regard qui s'est posé sur nous quand nous étions enfants ou adolescents. Nous la portons sur nous, oui, comme une tache que seules certaines personnes peuvent voir. Quand je te regarde, je vois tatouée sur ta peau l'empreinte de la moquerie et du sarcasme. Je vois quel regard s'est posé sur toi. De haine et de méfiance. Affûté et sans indulgence. Un regard avec lequel il est difficile de se construire.
p. 74 - 75

Un matin, alors que je m'apprêtais à quitter mon appartement, j'ai entendu la voix de Gilles Deleuze à la radio. Je reproduis ici les phrases que j'ai notées de mémoire, quelques secondes après la diffusion de cette courte archive sonore :
Si tu ne saisis pas le petit grain de la folie chez quelqu'un, tu ne peux pas l'aimer. Si tu ne saisis pas son point de démence, tu passes à côté. Le point de démence de quelqu'un, c'est la source de son charme.
J'ai aussitôt pensé à L.
J'ai pensé que L. avait perçu mon point de démence, et réciproquement.
Peut-être était-ce d'ailleurs cela, une rencontre, qu'elle soit amoureuse ou amicale, deux démences qui se reconnaissent et se captivent.
p. 177 - 178

Quelques jours plus tard, dans le métro, deux adolescents qui sortaient d'une séance de cinéma se sont assis en face de moi. L'un des deux expliquait à l'autre que le film qu'ils venaient de voir, d'après ce qu'il avait lu sur AlloCiné, était très proche de la réalité : presque tout était vrai. Le deuxième a acquiescé avant de s'étonner.
- T'as vu le nombre de films qui sortent qui sont tirés d'histoires vraies ? C'est à se demander si les mecs, ils sont pas en manque d'inspi !
Le premier a réfléchi quelques instants avant de lui répondre.
- Ben non… C'est surtout parce que le réel a les couilles d'aller beaucoup plus loin.
p. 363

***

D'après une histoire vraie - Delphine de Vigan - Editions JC Lattès - Août 2015