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SEP 17

C'est pas pour les chiens

Partager la compagnie de Little Snow, ton loulou de Poméranie, tous les jours pendant plus d'un mois, finalement ça m'a aidé. Oui, ça m'a fait vraiment lâcher "Fais le beau, Attaque !" mon autofiction avec toutes ces histoires de chiens et d'enfance que je me racontais et que je voulais raconter. Et c'est bien parce que ça finissait par tourner en rond tout ça. En plus, c'était un été sans miroir alors j'ai perdu l'habitude de me regarder pour essayer de faire le beau.

Il y a eu juste un épisode sensible un soir avec toi. C'était comme une rechute, un retour en arrière. En accéléré. Ce jour-là, j'avais été attaqué par des puces sur le ventre et sur les cuisses et ça me démangeait beaucoup. Pourtant j'ai bien coupé mes poils sur tout le corps, ce n'est pas genre épilation définitive comme c'est la mode en ce moment, mais je ressemble moins à un chien comme ça. 

Donc j'essayais de ne pas trop me gratter parce que je sais bien que c'est pire après. Amélie qui a deux gros chiens dans son Manoir de l'Echauguette nous racontait que certains chiens se mordent jusqu'au sang et ça leur fait des "hotspots" sur la peau. Il faut alors leur mettre un entonnoir sur la tête, enfin autour du cou. Snow fait ça aussi parfois, elle s'attaque férocement mais sans aller jusque là quand même. Et donc, là, j'étais tout à côté de toi, dans le lit, et on essayait de dormir.

– Demain il faudra que j'achète de l'Apaisyl ®, je t'ai dit.
– Mais j'en ai déjà acheté.
– Ah oui ?
– Oui, enfin, ce n'est pas de l'Apaisyl ®, c'est un spray mais, tu verras, je l'ai posé sur l'étagère où il y a les colliers antipuces, la pince tire-tique, le vermi'chat, la brosse pour le persan, tous les produits pour les animaux.
– Mais ton spray ce n'est pas pour les chiens quand même ?
– Non non, je l'ai acheté pour toi, tu verras.
– Et tu as trouvé ça où ?

Toi qui d'habitude as en mémoire vive toute ta vie dans ses moindres détails, là, tu as hésité une seconde. Et, à cet instant, avec mes questions, j'ai bien vu qu'on était à un point de bascule, genre "l'effort pour rendre l'autre fou". C'est le livre d'un psy, Harold Searles, que je n'ai pas encore lu mais ce titre-là c'est déjà tout un monde. J'ai essayé de me raisonner dans ton silence. 

Et puis, enfin, tu as parlé du magasin bio dans le bourg, près de l'océan, quand tu étais en Bretagne. Tout ça n'était pas très clair, alors j'ai trouvé ça vraiment bizarre et j'ai pensé que tu m'entourloupais, que c'était un spray pour les chiens. Je t'ai regardé un instant par en-dessous mais tu avais l'air très naturel et, comme ça me démangeait de plus en plus, je suis descendu voir.

J'ai d'abord regardé dans la pharmacie. Mais rien ! Alors j'ai fini par déplacer les produits sur l'étagère des chiens et chats, un par un. Rien non plus. Et pourtant le spray était là, sous mon nez sans doute. Oui, parce que toi, pour ne pas en rajouter, tu es descendu et tu l'as trouvé illico. C'est de la Marie-Rose. Répulsif et apaisant. C'est contre les piqûres de moustiques et donc pas forcément pour les puces mais pas du tout pour les chiens et c'est comme si je n'avais pas voulu le voir avec les produits pour animaux.

À partir de là, je me suis dit que ce n'est vraiment plus possible de m'associer à un chien. Toi, tu trouves que je n'ai jamais autant écrit sur les chiens depuis que je veux arrêter et que si je savais pourquoi je suis tellement accro au fond, ça m'aiderait vraiment à lâcher tout ça. Il y a bien sûr les questions de dressage et de forçage autour des premiers apprentissages mais aussi autre chose. Oui, peut-être que quand j'étais enfant j'imaginais que c'était mieux d'être un chien qu'un enfant, parce que la relation entre ma mère et ses chiens me semblait moins complexe alors. Et avec mon père aussi. Même si ce n'était pas vraiment une relation, plutôt des interactions. Mais toujours simples et prévisibles. Et c'est plus rassurant quand c'est simple, je trouve. Et c'est peut-être pour ça que les coachs préfèrent au jeu des associations libres les protocoles et les questions toutes faites, genre clean language.

Et pendant les vacances, il y a eu autre chose avec ton chien. J'ai voulu apprendre à Snow à faire la belle mais ça ne marche pas du tout. Pourtant, avec son pedigree et son élégance naturelle, elle pourrait gagner des concours. J'ai aussi essayé de la dresser à l'attaque mais sans succès. Elle a une personnalité très singulière. C'est un chien de chasse en fait. Pendant nos balades sur le chemin des chèvres, à travers les champs de blé ou de tournesols, elle renifle les traces des gibiers, elle remonte des pistes, elle lève les perdrix, elle court après les chevreuils à la lisière de la forêt. Elle se roule aussi dans des charognes et quand elle fait ça, comme elle est tout blanche, on imagine que c'est pour tromper sa proie. Et je me dis que pour moi c'est pareil. Enfin je ne me roule pas dans la vermine et j'aime toujours attaquer, parce que c'est mon mode relationnel familier, mais j'ai sans doute une autre identité, plus singulière au fond. Tu dis que pour Snow ce sont plutôt des personnalités multiples. C'est aussi un chien de garde par exemple. Elle a un chemin de ronde autour de la maison, de la mare et du jardin. Et maintenant tu dis que tu as envie de lui trouver un compagnon pour qu'elle fasse plein d'autres loulous de Poméranie.

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En photo : Quand Snow vient avec moi en Simca pour acheter des croissants.