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SEP 17

Frappe-toi le coeur

Je redeviens fan d'Amélie Nothomb – oui, l'année dernière j'avais beaucoup aimé la retrouver avec Riquet à la houppe  –, alors j'ai choisi son nouveau roman, Frappe-toi le cœur, sans trop me poser de questions. Ni sans savoir que ça parle du MAL DE MÈRE (pourtant c'est écrit en gros, comme ça, partout dans la ville). Enfin, c'est plutôt l'une des formes particulières de ce mal : la jalousie. La jalousie entre mère et fille, et puis de fil en aiguilles, au fil du temps et de la vie, la jalousie entre femmes, sœurs, amies, profs…

Je sais bien depuis la conférence psy, La haine au féminin, que c'est plutôt rare ou simplement tabou, mais entre les « femmes fatales » et les « femmes battantes », quand les femmes s'y mettent « forcément, on retrouve des morceaux dans la poubelle ». (Paul-Laurent Assoun). 

Je connais bien ça aussi parce que j'étais presque aux premières loges dans mon enfance, observateur attentif de ma mère avec ma sœur aînée (supposée être "l'enfant du Diable"). Même si je n'avais pas trop de mots à l'époque. (J'avais essayé d'écrire là-dessus dans "Fais le beau, Attaque !" mais ça a tourné court parce que mes histoires de chiens qui certes me permettaient de "symboliser" brouillaient aussi mes cartes : Mis en examen).

Et donc ce livre-là d'Amélie c'est à la fois un conte et un roman, avec un côté thriller aussi, mais un thriller psychanalytique. Parce que c'est vraiment troublant à chaque page et c'est comme une énigme. Mais une énigme en devenir : une fois que Diane, encore enfant, a la certitude du désamour maternel et même d'une forme de haine, on se demande ce que va devenir la jeune fille et puis la femme. Et avec Amélie Nothomb les années défilent vite (2 ans en 2 lignes !), alors il faut savoir ralentir la lecture si on aime faire durer le plaisir.
C'est tragique, c'est cruel, mais même au cœur du drame il n'y a pas de pathos. Non, ça reste toujours clinique avec Amélie. Et un régal.

Encore un mot. Un mot à propos des hommes dans tout ça, dans l'histoire : pharmacien ou mathématicien, ils comptent les points ou regardent le plafond mais, tout à côté des mères, ils semblent rayés de la carte. Peut-être qu'ils pensent aussi, qu'ils pensent toujours à leur mère. Plus ou moins consciemment.

Quelques extraits :
« Diane cessa d’être un enfant à cet instant. Pour autant, elle ne devint ni une adulte ni une adolescente : elle avait 5 ans. Elle se transforma en une créature désenchantée dont l’obsession fut de ne pas sombrer dans le gouffre que cette situation avait creusé en elle. page 55

« Au collège, Diane vit ses camarades se livrer aux prémices de l'amour. Du jour au lendemain, des garçons et des filles qui avaient passé des années à jouer à la balle ensemble se mirent à se regarder autrement. Au début, il y eut des liens d'une simplicité évangélique. Commencèrent ensuite les ruptures, inaugurant l'ère de la complexité. Ce qui brisait les cœurs, ce n'était pas la fin d'une histoire, mais la rapidité avec laquelle l'ex aimait à nouveau. D'aucuns, par pure diplomatie, cachaient leur jeu. La situation devenait florentine. On ne s'y retrouvait plus. » page 76

« Quand il fallut se présenter, l’inconnue parla d’une voix grave que Diane trouva d’une classe folle :
– Élisabeth Deux. Des hurlements de rire saluèrent cette déclaration.
Le professeur soupira :
– Votre vrai nom, mademoiselle.
– C’est mon vrai nom. Mes parents s’appellent Monsieur et Madame Deux. Et comme ils ne manquent pas d’humour, ils m’ont baptisée Élisabeth. » page 79

« Tempête sous un crâne : ce que sa mère lui avait dit se mélangeait au point que d'insignifiants propos lui paraissaient détenir un dangereux sens caché. Elle eût été incapable de déterminer ce qui la blessait le plus : la souffrance présente de celle qui avait été sa déesse ou la négation de son enfer d'enfance. Diane n'appartenaient pas à la catégorie de ceux qui voient une forme d'expiation dans le supplice de leur bourreaux. » page 107

« La bêtise, c'est de conclure », a écrit Flaubert. Cela se vérifiait rarement autant que dans les querelles, où l'on identifiait l'imbécile à son obsession d'avoir le mot de la fin. page 162

Frappe-toi le cœur - Amélie Nothomb - Editions Albin Michel - Août 2017

Il y a pas mal de vidéos d'Amélie interviewée pour son nouvel opus sur le net, ici et là, et là à La Grande Librairie : c'est du teasing mais c'est pas un spoiler.