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SEP 17

Accompagner une équipe en équipe

Lean Management, Gemba, 5S, Kaïzen, TQM... Dans cette usine-là ils ont testé, adopté, déployé toutes les méthodes pour maîtriser les flux, les process, la qualité, les coûts, etc… Tout mais pas encore le "Kata", une démarche d'amélioration continue encore inédite en France. Alors Vincent, expert en organisation industrielle qui a créé sa boîte, nous a écrit :
– Eva, André, ça vous dirait, à l'un ou à l'autre, de venir avec moi accompagner une équipe de managers pour les entraîner au Kata Coaching ?"
Eva et moi on connaît bien Vincent – il participe au groupe "Innover dans le conseil" et on a animé avec lui, Eva au Luxembourg et moi dans le passé, à la Cegos –, mais on ne connaît rien au Kata. Par contre on aime bien tout ce qui se trame dans les coulisses des groupes et des équipes. Oui, les passions et les tabous de chacun qui s'entremêlent dans tous les sens, s'amplifient toujours dans un collectif et contribuent alors à le booster ou le faire patauger.
– Non ! Ni l'un ni l'autre. Parce que pour faire vraiment équipe, faisons équipe à trois, on lui a répondu.

Et c'est ainsi que je me suis retrouvé tout d'un coup dans ma vie d'avant, au beau milieu d'une usine bourrée de technologies où même les plantes ont un emplacement numéroté. Oui, toute une journée comme quand j'étais consultant, dans une salle presque aveugle sans pouvoir bouger les tables et avec les managers Production, Méthodes, Qualité, l'un des boss de l'usine, et Vincent et Eva. 

Et je me suis souvenu que j'aimais aussi avoir plein d'outils avant dans ma musette, enfin dans ma tête : des flowcharts pour dessiner "qui fait quoi", des sociogrammes pour tenter de saisir l'insaisissable, des matrices pour faire le bilan "des menaces et des opportunités"… Et j'avais l'œil alors pour flairer les bugs aux interfaces, traquer les nœuds dans les circuits de travail. J'avais appris ça quand j'étais enfant pour me repérer au milieu de ma famille nombreuse et des chiens et pour essayer de tirer mon épingle du jeu. Alors tous ces outils, je les donnais avec plaisir aux équipes pour qu'elles se dessinent elles-mêmes et se repèrent sans moi dans leur imbroglio.

Mais aujourd'hui je n'ai plus rien. Enfin, rien de tout ça. C'est comme si j'étais venu tout nu dans l'usine. Oui, pour accompagner une équipe notre seul outil c'est nous-mêmes en tant qu'équipe. Certes il y a des coachs qui débarquent dans les organisations avec plein de théories, de techniques et de tests, genre Théorie U d'Otto Scharmer, codev, MBTI ®, etc, mais c'est une protection et une illusion alors. Parce que quand on est plongé dans un groupe, on est aux prises avec tous les jeux inconscients de chacun et on se débat comme on peut avec tout ça. Et aussi avec notre histoire personnelle qui, forcément, en rajoute. Le mieux alors c'est d'essayer de se laisser faire à l'équipe et puis de faire des petits pas, des allers et retours entre nous.

Et c'est pour ça que, quelques jours avant de venir dans l'usine, on s'est retrouvé, Vincent, Eva et moi, pour voir de plus près ce que c'était le Kata, bien sûr, mais surtout pour nous renifler, babiller, imaginer différents scénarios et essayer de nous ajuster ou de nous calmer tous les trois. Essayer seulement parce que c'est une illusion aussi face à un nouveau groupe.

Vincent et Eva ont travaillé avec l'équipe la première journée et moi je suis arrivé le deuxième jour. Et je me sentais bien démuni parce que j'imaginais tout le chemin qu'ils avaient fait ensemble la veille tous les deux (il paraît qu'ils avaient joué avec un puzzle et que ça avait mal tourné). En plus, Eva avait potassé à fond la méthode et le slideshow du Kata. À cela s'ajoutait une impression d'étrangeté car j'avais débarqué en train en plein orage et dans une contrée où le nom des villes m'était incompréhensible (même si Eva est espagnole, j'ai encore du mal quand ce n'est pas ma langue maternelle).
Et donc, pour démarrer le deuxième jour, Vincent et Eva m'ont proposé de les accompagner un instant sous le nez des managers et avec des questions clés du Kata : Et qu'est-ce que vous espériez ? C'est quoi la situation actuelle ? Et les obstacles? Qu'est-ce que vous avez appris ?

Comme ils connaissaient bien toutes ces questions que je devais leur poser et que j'ai du mal avec les questions toutes faites, je les ai plutôt laissé raconter le fil de leur journée en associations libres. C'était funambulesque pour moi et pour eux deux aussi visiblement.
Mais je n'avais rien à faire. Rien d'autre que d'être là devant eux, sans trop faire mon malin. Et alors j'avais l'impression d'être un peu comme un psy dans l'usine. Je ne sais pas dans quoi ça les plongeait de familier ce genre de situation mais il ne fallait pas du tout introspecter ni parler d'enfance dans l'usine. Non, on s'était dit qu'on n'était pas là pour ça.

Cette séquence a duré dix ou quinze minutes et après on a redonné la parole aux managers. L'un des boss a eu l'impression que c'était un rêve. Non pas parce que c'était tôt le matin au sortir du lit mais parce qu'il n'avait rien compris de ce moment entre nous trois et devant eux, genre supervision. Oui, pouvoir nous parler comme ça librement sans faux-semblants ni places fixées a priori. À partir de là, ils ont pris conscience que, même avec Shiba management, Ishikawa, Poka-yoké, la roue du PDCA et toutes leurs techniques, ils n'avaient jamais vraiment fait ça entre eux.

Et alors ce rêve-là les a inspiré pour le reste de la journée. Oui, mine de rien, ils ont commencé à se parler autrement, à bégayer un peu comme nous, à se surprendre tout seul et devant l'autre. Le chef aussi essayait de laisser faire et ce n'était pas simple pour lui parce qu'il avait déjà eu un coaching avec des histoires de crocodile. Et nous on avait juste à être là, enfin accompagner un peu le mouvement.

Eva raconte l'histoire à sa manière, sur son blog, avec aussi une vignette sur le Kata : Retour d'expérience d'accompagnement en équipe.
 

Et la marque de Vincent Lambert c'est Tactik Smart France.
 

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Photo : Au sortir du TGV pour la correspondance avec le TER et quand c'est un peu le chaos sur les voies parce que c'est l'orage partout.