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DéC 19

Sans contact

En ce moment, je ne sais pas trop pourquoi, tous les trucs « sans contact » ça m'intrigue beaucoup. C'est à la fois les dispositifs pour faire ça mais aussi ce nom-là. Sans contact !

L'autre soir par exemple, juste devant moi, il y avait une femme à la caisse chez Nicolas. Et elle a sorti son mobile pour payer sa bouteille de vin. D'ailleurs c'était peut-être du champagne, j'ai pas bien vu. Moi, j'avais choisi un demi Château Haut-Rian. Et donc, quand la femme est partie, je n'ai pas pu m'empêcher de demander à Nicolas – enfin au marchand de vin – comment elle pouvait faire un truc pareil. Oui, avec le terminal de paiement et son mobile par dessus. Il y avait même pas de ticket, je crois, tellement c'est allé vite. 

– Elle a une appli genre Google Pay, il a dit le marchand.
– Et c'est plutôt fiable, il a précisé.
C'est bizarre qu'il ajoute ça, c'était pas trop ma question.
– Sauf si on lui coupe le doigt, il a encore ajouté.
Sur le moment, j'ai pas trop compris pourquoi il voulait faire ça à cette femme. J'ai pensé à un film policier avec un voyou qui prendrait la femme en otage pour ensuite demander une rançon. Et donc il lui couperait le doigt pour montrer que ça ne plaisantait pas ici. Mais c'était un mot d'esprit, je pense. Sauf que ce genre d'image surgit en direct de l'inconscient, et comme dans les rêves alors, le personnage du voyou c'est lui aussi, Nicolas, enfin le marchand de vin. Mais ça doit être compliqué pour lui d'être sous le nom d'une enseigne comme ça, j'ai pensé. Pour se reconnaître dans tout ça je veux dire.
Il me voyait un peu perdu dans mes pensées et il a précisé :
– Oui, pour valider le paiement, il faut quand même son empreinte digitale.

Le soir d'après, j'ai commencé à parler de tout ça à ma psy, de ces histoires de « sans contact ». Pas forcément de la femme chez Nicolas, mais des coachs qui me regardent sur les réseaux sociaux, qui likent, qui commentent mes posts mais qui jamais n'osent le contact. Le « mode mammifère » comme je dis. Non, ils ne veulent pas venir dans les groupes de supervision ou dans les ateliers que je crée : « Le tendre et le sensuel », « Impasses du désir », « T'es pas maître en ta demeure », etc. C'est bien fait pour eux pourtant. Mais ils préfèrent me regarder derrière leur écran et continuer de fantasmer. Comme s'ils faisaient du lèche-vitrine.
Je voyais bien que j'étais tout d'un coup un peu enragé en parlant de ça à ma psy. Alors qu'elle n'a rien à voir là-dedans a priori. Je lui ai aussi raconté la machine à sous chez l'artisan-boulanger qui est un peu comme un tronc d'église ou comme au casino. Mais ça tombe en panne tout le temps ou c'est cambriolé. Là, ma psy ne m'a pas laissé terminer. De toute façon, je commençais à tourner en rond sur son divan. Dans ma tête, je veux dire. Donc, tout d'un coup elle m'a lancé « la psychanalyse c'est aussi sans contact ». J'ai bien vu où elle voulait en venir. Ou plutôt d'où ça me venait toute cette affaire de « sans contact » et ça m'a soudain calmé. Et je suis passé à autre chose.

Après, je ne sais plus du tout comment j'en suis arrivé là, mais j'ai parlé du plaisir d'ouvrir des huîtres, de les humer, fourrer le nez dedans – quasiment – en tous cas, les lécher et puis finalement les avaler. Oui, je vous fais pas un dessin, j'ai dit à ma psy, c'est comme le sexe féminin.

***

La photo, là, ça n'a rien à voir. Non, c'est un nouveau lapin au poulailler d'acajou. Un lapin Rex. Il était à une psychologue et il s'appelle Aïko. Ça parle d'enfance et d'amour ce nom-là, en japonais.