Il y a un an, à cet instant du jour, un ange ami me tirait par la manche du côté de la vie.
Et, depuis, les instants d'âme qui s'écoulent dans mon sablier ont de plus en plus souvent la saveur du fragile et du tendre.
« Fais attention ! Tu vas encore renverser ton bol ! »
Surprise dans les yeux de l'enfant qui contemplait l'aube du monde, là, dans le jardin entre ses cils.
Alors, tiré de sa rêverie comme chaque matin, il se demande si cette femme-là est magicienne ou sorcière ? Voyante ou simplement à cran ? Mais à cran de quoi ?
*
Un ferronnier d'art désespéré, une dresseuse de loups blancs sans dessus ni dessous, un fonctionnaire de Dieu amoureux… Ils viennent s'échouer un instant ici, entre les ondes, le crépuscule et l'aube.
Colère et tristesse dans ses yeux. Cicatrice ancienne et ouverte dans le regard. Elle se déclare « victime collatérale de l'amour », de l'amour inconditionnel donné dans le colin-maillard des séances.
Tendresse originelle qui, certes lui a manqué jadis, mais « qui, à vous aussi, avouez-le, vous a manqué ? Et que vous donnez à l'envi alors ! Comme pour vous guérir !? »
Ce matin-là, dans le chaudron magique,
ni l'ogre en tutu ni la fée au couteau n'étaient au rendez-vous
Elle marche sur le parquet de chêne comme dansent les biches
Et la patineuse à glace glisse comme jadis
Il y a, dit-elle, une lumière de pluie sur le sentier des crêtes.
*
La bibliothèque est vide, enfin. Vide de tous les manuels techniques et pratiques, des guides et des grands livres du coaching, déposés là dans la blanchisserie, au fil des jours. Pourtant, à l'aube, l'inconnue laisse encore quelques uns de ses livres aux pages cornées :
Les furies et les peines
À dos d'oiseau
Quand le miroir s'étonne
Les étoiles brûlées…
Avec toujours, entre les mots, entres les lignes, un peu de son parfum.
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Elle se tient là, désemparée, interdite. Élégante et égarée. Princesse là-bas en son pays de dunes et prisonnière, ici, dans les entrailles de la terre. Elle se tient là, entre les portes de verre et la barrière de tourniquets. Là où jadis le poinçonneur aurait aimé lui montrer le chemin. Elle n'est que regard en cet instant. Et ce regard-là pourrait retenir un, deux ou trois grains d'éternité dans le sablier du temps.
Je viens de là, dit-elle en me montrant du doigt la gueule noire et froide du tunnel. Et j'aimerai sortir. C'est alors que, sans un mot, sous sa main, une des portes de verre et d'acier cède enfin et la mène vers le soleil.
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Elle, dans le serpent d'acier qui se glisse entre les creux de la vallée verte puis se traîne jusqu'à la station des catacombes, elle aime lire des romans noirs. Les meilleurs polars écrits par des stars du crime.
« C'est pour m'évader » me dit-elle. Pour oublier le grand échiquier sur lequel le jour, tout le jour, elle aime jouer ou danser. Elle joue à la marelle et danse la rumba ou le twist, le hip-hop ou le slow avec des policiers et des gendarmes. C'est pour leur apprendre à ne plus jouer ni aux voleurs ni à cache-cache avec l'argent de l'État.
Blottie au creux de son fauteuil, soudain elle fait le signe de la croix. Alors, mugissant, vrombissant, l'avion s'élance en bord de ciel.
*
Le coaching est un art parfois bien cruel. Ainsi, quand le sablier du temps se brise en séance, quand le silence se pose enfin sur les cils et sur les lèvres, c'est la saveur de la grâce, tendre, réparatrice, qui surgit là, à fleur de peau, sans crier gare.
Le serpent d'acier quitte le pont sur la Seine et file à folle allure vers les entrailles de la terre. Et là, sur le strapontin, une jeune femme vêtue comme autrefois murmure des mots secrets et égrène, une à une, les perles d'un chapelet en bois d'olivier.
Tout contre elle, une autre femme gémit et crie dans son portable. Sa voix se fêle et s'enraye. Et maintenant, sur ses joues, des larmes de rage ou de tristesse.
« Les blessures d'anamour et les larmes, dit-elle, tracent des tatouages invisibles au creux de la chair. » Et elle, d'un clin d'œil, elle sait en deviner le dessin et la couleur. Et aussi la profondeur et le goût. Alors, de la pointe des cils ou des lèvres, elle voudrait effacer ces sillons secrets sur la peau de l'autre, patiemment, tendrement.
À deux pas du square bétonné, sous le métro aérien, ils ont mis des jeunes en cage. Et ceux-là hurlent et se cognent au tricot d'acier. Violemment. Ils courent en tout sens, frappent un ballon qui leur échappe à tout instant.
« Mais non ! Ils ne s'initient pas à l'oppression, me rassure Charlie qui connaît bien mon goût du drame. C'est juste un nouveau concept. »