15
MAR 10

Les ancêtres des coachs (partie 2)

Notre métier prend ses sources dans les traditions de l'accompagnement philosophique, spirituel, éducatif et politique. Et puiser dans cet ancrage historique, c'est se donner les moyens de confronter et dépasser les critiques du coaching et des coachs : « mystification, manipulation… coach gourou… »
C'est aussi esquisser des voies d'avenir créatives car dégagées d'une visée adaptative ou de la recherche de la performance.

Voici la deuxième partie du texte de la conférence animée par Reine-Marie HALBOUT, l'été dernier, dans le cadre du Master 2 Coaching Professionnel Coaching dirigé par Thierry CHAVEL à l'université de Paris 2.


Connaître ses ancêtres pour penser et pratiquer le coaching
Reine-Marie HALBOUT

Critiques et avenir du coaching

Critiques du coaching
Parallèlement au développement du coaching, de nombreuses critiques le concernant ont été formulées par différents auteurs. Certaines proviennent de « l'intérieur » et sont portées par des coachs dénonçant des pratiques abusives de coaching ou des dérives qu'ils ont constatées. D'autres sont émises de « l'extérieur » et sont formulées par des sociologues, des philosophes ou des psychiatres qui s'inquiètent des risques de « normalisation » que le coaching pourrait représenter.

Les critiques de « l'intérieur » émanent de coachs qui refusent ce terme parce qu'il est galvaudé et risque de créer une confusion sur la nature de leurs interventions. En ce qui me concerne, j'utilise aussi bien les termes de coaching ou d'accompagnement ou encore d'accompagnement de type coaching. Travailler à la professionnalisation des intervenants et à la clarification de ce qu'est ce métier me parait plus fructueux que d'entretenir une querelle d'intitulés.

Des coachs remettent aussi en question les rythmes effrénés de certaines écoles de formation au coaching. Ces écoles leurrent un public crédule en formant chaque année plusieurs centaines de personnes qui ne trouveront pas de travail sur ce marché. Il revient aux élèves de ces écoles de ne pas se laisser gruger par de fausses promesses, et aux professionnels de l'accompagnement de communiquer, à l'intérieur comme à l'extérieur, sur ce qu'est ce métier et ce qu'il suppose en termes de formation, d'expérience et de travail du soi. Ces précautions n'empêcheront pas les apprentis sorciers de vendre des illusions à leurs ouailles, mais permettront d'élever le niveau de connaissance sur la complexité du métier de coach.

Les critiques de « l'extérieur »
Évidemment, les critiques les plus virulentes viennent de praticiens d'autres champs : sociologues, psychiatres ou philosophes. Ces critiques ont une grande valeur, car elles obligent les coachs à se questionner en permanence et à être vigilants vis-à-vis des risques de dérapage.

Ces remises en cause sont également utiles parce qu'elles permettent de préciser les fondamentaux concernant le coaching et ceux qui le pratiquent. En effet, il est frappant de constater chez les pourfendeurs du coaching une grande méconnaissance de ce qu'il est réellement ! Objet de fantasme, le coaching l'est tout autant pour les coachs que pour ceux qui le remettent en cause.

Dans L'empire des coachs (4), les auteurs, qui sont psychiatre pour l'un et philosophe pour l'autre, questionnent avec exigence l'idée même du coaching à l'aune des grands principes philosophiques fondant les échanges humains. Ils dénoncent la nouvelle forme de contrôle social que représenterait le coaching, ainsi que les impératifs de performance et de compétitivité dont il serait le chantre.

L'ouvrage dresse un tableau assez consternant de pratiques de coaching qui ne peuvent se réaliser que « sur fond d'une anthropologie de servitude qui rabaisse l'homme à une micro-entreprise ne connaissant d'autres besoins que la “gestion de ses ressources”, la “compétitivité”, la “performance” ou l'“adaptation au changement” ». (je cite !).

Les auteurs décrivent un coaching issu du monde du sport et imprégné des références spécifiques aux thérapies comportementales. Ces postulats débouchent sur une opposition systématique entre coaching et clinique, et positionnent le praticien de l'accompagnement comme un agent de l'abêtissement général et du maintien d'un ordre social répressif.

Bien sûr, le coaching s'établit dans un cadre marchand et se donne pour objectif de dépasser un cap délicat ou de trouver des modalités d'interaction plus justes avec l'environnement professionnel pour le coaché. Cependant, le coaching est avant tout une relation entre deux personnes qui ouvre un espace de prise de conscience et d'élaboration. Par ailleurs, ce travail s'inscrit dans un cadre, lui-même régi par les codes de déontologie des sociétés professionnelles.

Si le coaching était ce que décrivent Roland Gori et Pierre Le Coz, il serait effectivement urgent de mettre en œuvre tous les moyens de l'éradiquer des pratiques d'accompagnement dans les organisations… mais le coaching existe, il est souvent exercé par des professionnels conscients et responsables et il ne mérite pas cette mise au pilori.

De nombreux dirigeants d'entreprises et de directeurs des ressources humaines y font appel et en mesurent l'intérêt. Et tous ne sont pas les tenants d'un ultralibéralisme virulent, détournant sans cesse le développement des hommes vers une logique de profit et de performance exacerbée !

Actuellement, des coachs témoignent de l'évolution de la demande des entreprises concernant le coaching. Il est de plus en plus question de favoriser pour les coachés l'ouverture à la complexité, la prise en compte de la diversité et l'acquisition d'une plus grande maturité relationnelle.

Si le coaching se développe, c'est donc qu'il correspond à un besoin profond de trouver de nouveaux repères individuels et collectifs au sein des organisations. Il est une réalité bien installée que la simple injonction ne suffira pas à supprimer, n'en déplaise à ses détracteurs. Il s'inscrit aujourd'hui dans une praxis et, pour paraphraser le titre d'un ouvrage qui a fait récemment parler de lui, il n'est pas « la fabrique du crétin » que certains dénoncent.

L'expérience prouve que le coaching, bien conduit, est un moyen de permettre à des individus sous pression dans les entreprises, de prendre du recul, de faire le point et de trouver des modalités d'interaction plus justes avec leur environnement. Il engage à une meilleure connaissance de soi-même, à une compréhension plus fine des relations avec l'environnement et à un niveau de conscience plus élevé des enjeux collectifs, économiques et politiques d'une situation. Sens des responsabilités et éthique y sont largement sollicités et ne peuvent que s'y développer.

J'évoquais tout à l'heure les origines diverses des praticiens de l'accompagnement et la pluralité des référentiels théoriques, des démarches ou des outils qu'ils utilisent. La plupart d'entre eux, en effet, font appel à des ressources engageant à une réflexion sur la dynamique personnelle du coaché, mais aussi à l'analyse des contextes dans lesquels il évolue.

Ce sont ces différents niveaux de travail qui permettent de réintégrer les dimensions du collectif et du politique dans le coaching. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles il est très important que le coach intègre différentes épistémologies dans ses ressources, afin de ne pas rester « collé » à un niveau de travail.

D'une façon générale, et je le regrette, notons que les coachs sont un peu frileux et craintifs pour se défendre face aux attaques de l'extérieur. Ils ont du mal à exposer leurs arguments, issus de la praxis, alors que leurs détracteurs ont souvent une position théorique, plus dogmatique que fondée véritablement sur une connaissance du monde des organisations et du terrain de l'accompagnement et c'est dommage !

Le monde du travail

Les positions que les uns ou les autres expriment face au coaching sont en lien direct avec les représentations qu'ils ont du monde du travail. Pour ceux qui considèrent le travail comme un labeur aliénant et l'entreprise comme le lieu de cette aliénation, le coaching et les coachs sont perçus comme les agents de la contrainte individuelle et sociale, qui œuvrent, inconsciemment, au maintien de cette aliénation.

Pour ceux qui pensent le travail comme un opus, le travail et l'entreprise sont envisagés comme des lieux de réalisation personnelle et collective, donnant des repères et favorisant les échanges de savoirs et l'interaction socialisante. Le coaching est alors considéré comme une évidence, aidant à la fois les individus et les organisations à développer leurs ressources. Les dysfonctionnements organisationnels et les conflits qui en découlent sont alors évacués au profit d'une vision idéalisée, « a-conflictuelle », dont toute position critique est exclue.

Une ligne de démarcation semble séparer ces deux mondes. Elle oppose les tenants des deux camps, qui, loin de se parler, soliloquent et se confortent entre eux sur le bien-fondé de leurs positions. On retrouve d'ailleurs des coachs de chaque côté de cette ligne de démarcation. En forçant à peine le trait, il y a ceux qui se considèrent au service des entreprises clientes et qui ont tendance à considérer toute commande comme étant bonne à prendre, et ceux qui se vivent comme étant missionnés pour aider le coaché à se développer coûte que coûte, y compris, et surtout, contre l'entreprise.

En tant que coach, faire l'impasse sur les contraintes que le monde du travail impose aux individus et la violence que certains systèmes managériaux font vivre aux personnes et aux groupes serait faire preuve d'un aveuglement coupable. C'est toute la question de la souffrance au travail qui est ainsi posée, et de ses effets pathogènes sur le fonctionnement psychique des individus et des groupes.

Mais il semble tout aussi évident que l'entreprise n'est pas seulement le lieu d'aliénation que certains décrivent, dans une vision doloriste du travail. Elle est un lieu de fabrication de liens, d'intégration sociale, de créativité personnelle et collective et d'élaboration de repères.

Les parcours professionnels que les individus construisent, au fur et à mesure des différentes étapes de vie, sont des espaces de construction des savoirs : savoir-faire, savoir-être, et savoir-vivre ensemble. Ces espaces sont aussi les garants des équilibres individuels et collectifs et du maintien de la santé psychique et physique.

Il suffit de constater la souffrance de ceux qui sont privés de leur emploi ou qui arrivent au moment de la retraite sans s'y être préparés pour s'en rendre compte. La liste est longue des dé-liaisons sociales, familiales et personnelles que ces ruptures entraînent. Et puis, il y a ce sentiment d'utilité, si rarement évoqué en France, qui vient à manquer. Ne plus avoir de travail, c'est aussi ne plus être en mesure d'exercer son registre de compétences, ne plus contribuer à l'édifice collectif, ne plus apporter sa créativité au groupe. Ce sont toutes ces amputations qui contribuent au sentiment de perte de sens.

L'avenir du coaching : une troisième voie entre conformité et rupture

Si l'on considère le coaching comme un espace où sont travaillés la dynamique individuelle et son rapport au groupe et au collectif, on peut envisager celui-ci comme une modalité nouvelle, permettant de questionner le rapport au travail, entre labeur et opus, et de dégager une troisième voie.

Les individus, comme les groupes, ont la capacité de trouver des modalités d'interactions créatives visant leur évolution vers un plus grand équilibre et la transformation de leurs environnements. L'expérience montre que le coaching est un vecteur de transformation des personnes et des groupes via une conscience accrue des enjeux personnels, organisationnels, économiques et politiques des situations.

Thierry Chavel évoque le coaching, dans son inspiration philosophique, comme un accompagnement à la verticalité (5). Il s'agit effectivement de se redresser, de trouver un axe stable et de porter le regard loin autour de soi. Cette verticalité est liée à la conscience de soi-même, qui donne accès à l'autre et au monde. Elle est une condition préalable à l'émergence de la notion de responsabilité et d'éthique.

C'est en continuant de se professionnaliser, en croisant pratiques et théories, et en convoquant d'autres disciplines, issues du champ des sciences humaines, que les coachs pourront s'ouvrir sur de nouvelles perspectives. Contrairement à ce qu'en disent certains de leurs détracteurs, la plupart des coachs sont des praticiens responsables, engagés dans un questionnement concernant les interactions entre l'individuel et le social. C'est sur cette génération de professionnels exigeants, impliqués dans des processus de recherche et de développement, que repose désormais l'avenir du coaching. Ce sont eux qui feront du coaching une discipline à part entière dans le champ des sciences humaines.

Parce qu'il est une proposition de réflexivité pour tous ceux qui le pratiquent et en bénéficient, le coaching est toujours porteur d'une dimension subversive. Il s'agit bien d'opérer un retournement, un renversement de point de vue, comme l'étymologie du terme subversif l'indique.

Le coaching ouvre à la question du sujet, du désir, de la cohérence et du sens. Il suscite la réflexion sur les interactions entre le sujet et son environnement et ouvre à la prise en compte de la dimension politique. Le coach est donc un passeur vers plus d'éthique et de responsabilité, un professionnel engagé dans la vie de la cité, qui ne cesse de se questionner sur sa posture et sa pratique.

Le coach comme éveilleur de conscience : cette proposition vaut d'abord pour lui-même et il ne cesse de se l'appliquer à travers sa démarche réflexive. Elle est aussi le fil d'Ariane de son intervention auprès de celles et ceux qu'il accompagne.

En conclusion, s'inscrire dans la filiation des traditions les plus anciennes de l'accompagnement, en lien avec ses ancêtres collectifs, travailler sa posture de coach, en étant conscient des relations vivantes avec ses ancêtres personnels et tenir avec exigence le fil de ses interventions permettront, peut-être, d'inscrire le coaching dans une troisième voie, entre conformité et rupture vis-à-vis du monde du travail.


Notes :

4. Roland Gori, Pierre Le Coz, L’empire des coachs, une nouvelle forme de contrôle social, Albin Michel, 2006.
5. Thierry Chavel, « Philosophie et coaching », dans Pierre Angel, Patrick Amar, Émilie Devienne, Jacques Tencé, Dictionnaire des coachings, op. cit.

***