22
SEP 23

À bout de souffle

C'est fou. Je pensais à mon rêve du matin, tout en morceaux et encore incompréhensible – avec juste un hamster en plein soleil – et là, à l'angle de l'avenue de Suffren et de la rue qui mène au divan, un type venait de tailler à l'équerre visiblement tout le lierre bien accroché à la grille.
Enfin, ce n'était pas visible d'emblée, c'est d'abord l'odeur qui m'a accrochée. Oui, c'était soudain comme dans les boutiques Massimo Dutti.
À Paris ou à Madrid, c'est la même fragrance dès l'entrée. Terreuse et musquée, avec des notes d'agrume. Et à chaque fois, ça me rend un peu fou justement. Sans doute parce que c'est terreux et musqué.

En ce moment, avec les odeurs je fais des associations bizarres. Des sortes de lapsus olfactifs peut-être. 

Par exemple, le rhum arrangé ananas-vanille me laisse en bouche une trace bien particulière. Une saveur à la fois âpre et boisée. Ça me rappelle le goût du sexe de femme.
Enfin pas n'importe quelle femme. Et seulement avec l'ananas Victoria et la vanille Bourbon. Une question d'origines toujours.

Bref. Rien à voir a priori avec mon rêve du hamster. Je l'avais noté au réveil en style télégraphique :

Sous la canicule. Un hamster haletait.

Mais, au petit matin, j'ai buggé sur l'orthographe : j'ai écrit « allaitait ». Rien à voir avec le souffle court et complètement haché de la pauvre bête qui suffoquait en pleine chaleur. Et donc c'est avec ça dans la tête que je me suis allongé le soir. Le rongeur finissait par mourir, je racontais à ma psy.

Il faut dire que quelques jours plus tôt, Eva m'avait parlé de Marcus, l'animal de compagnie de sa fille, qui semblait aussi au bout de sa vie, exactement comme ça sous le soleil. Ma psy ne comprenait pas trop ma confusion entre haleter et allaiter. Le retour au maternel encore. Sauf que ce n'était pas vraiment dans mon rêve et elle était ailleurs visiblement :
– On halète aussi pendant l'acte !
Ça m'a bien dérouté sa façon de voir les choses ici. Ça dépend de la manière d'aimer, enfin de faire l'amour, j'ai pensé. C'est pas forcément le cliché avec la femme qui fait l'étoile de mer et l'homme le marteau-piqueur. Mais je n'ai pas voulu entrer dans les détails avec elle. Le pauvre animal finit par mourir, je lui ai juste rappelé, mais elle en a rajouté :
– Oui. On parle aussi de la petite mort.
À partir de là, j'ai commencé à voir double, enfin à penser en double en quelque sorte. Je ne sais pas si ça vous fait ça des fois, c'est troublant. Les défenses lâchent et alors on peut suivre deux courants de pensée à la fois. Là, je percevais bien l'arrière-plan sexuel de tout ça et, en même temps, je restais obnubilé par les problèmes de respiration. Un mot inconnu, ou plutôt oublié, m'est revenu : holotropique. Une respiration qui plonge dans un « état modifié de conscience ». C'était quand je grenouillais dans le New-Age, je crois. Mais ça ne menait nulle part et ma psy n'écoutait pas vraiment.
– Et le hamster ? elle m'a demandé.
Je n'ai rien dit parce que sur le moment je ne savais pas trop quoi en penser.
– C'est un petit animal avec une longue queue, elle m'a lancé.
J'ai préféré passer à autre chose.

Quelques jours plus tard, j'ai demandé à Eva si elle avait des nouvelles de Marcus ? Oui, très bien, pourquoi ? J'ai évoqué mon rêve du hamster haletant.
– Le hamster a le temps ! elle m'a dit.
Et là, forcément, j'ai repensé à tout le cliché d'un acte frénétique qui, dans les films et dans l'imaginaire populaire, finit à bout de souffle et bien à rebours alors du slow-love qu'on peut considérer, je trouve, comme un des beaux-arts.
– Tu sais, ta psy elle a sans doute jamais eu un hamster ! a continué un instant Eva.
– … ??!
– Cet animal-là n'a pas du tout une longue queue !

***