05
SEP 13

Livre d'or

« Voilà un livre qui correspond non seulement aux besoins des professionnels du coaching, mais aussi à tous ceux qui voudraient découvrir cette approche et valider un engagement possible vers un travail personnel approfondi dans cette direction.
Dans cet important ouvrage, pas d'exclusive, mais une grande rigueur, des positionnements clairs, des clarifications stimulantes autour d'une approche qui s'affirme de plus en plus comme une discipline à part entière des sciences humaines.
Des chapitres interpellants, des propositions d'une grande richesse, des analyses invigorantes pour faire danser nos neurones. […] 
»

C'est un bout de la préface signée par Jacques Salomé pour "Le livre d'or du coaching" qui parait bientôt et que j'ai aimé découvrir en primeur dans mon courrier de la rentrée.
Alors j'aime aussi partager ici la contribution bien personnelle écrite cet hiver au coin du feu et dans mon atelier :
              Le désir d'accompagner, vocation ou répétition ?

Et remercier encore Thierry Chavel de son invitation à prendre mon piano à mots pour raconter une histoire singulière, partager sans trop de détour sur les coulisses de notre métier, loin des outils et des théories, et transformer ainsi peut-être un peu de plomb en eau.
P
arce que, vu des étoiles, il paraît que l'eau est plus rare que l'or ; et que, pour la vie, elle est infiniment plus précieuse.
 

Le désir d'accompagner, vocation ou répétition ?

« La vocation, c'est le bonheur d'avoir pour métier sa passion. »
Stendhal 

 

La passion du coach, c'est l'élan vers l'autre, le goût des autres. Ce désir-là mêle la bienveillance et la confrontation, l'acceptation inconditionnelle ("Tel que tu es, je t'accueille") et la tendresse impitoyable ("Qui que tu sois, deviens-le !"), l'art du soin et le combat thérapeutique.

Remonter aux sources de sa passion, c'est développer une claire conscience de ce souci de l'autre, revenir sur les traces des premiers attachements, au féminin et au masculin, et ainsi prendre soin de son talent singulier. Un talent qui est aussi un talon d'Achille. Car si le coach est doué, il est aussi blessé du lien ; il veut donner aux autres ce qui lui a manqué jadis, un peu, beaucoup, passionnément… C'est pourquoi ce retour vers les origines est bouleversant, initiatique, et il ne peut se faire sans être accompagné.

L'enfance de l'art

Elle est là, au milieu des autres, au milieu du groupe, et je sens bien qu'elle est chamboulée au-dedans d'elle. Et eux aussi, en arc de cercle tout autour d'elle, devinent son trouble dans le silence. Responsables des ressources humaines ou de la com, managers ou consultants, ils aiment revenir sur les bancs de l'université, pour un Master de coaching. « Un diplôme qui délivre du besoin de diplôme » aime dire Thierry Chavel à ceux qui viendraient chercher ici une certification. Ce soir c'est leur premier cours, une séance de supervision didactique. Et la didactique ici, c'est simplement le retour à soi.

Alors, l'instant d'avant, j'ai aimé leur proposer d'emblée et sans détours un voyage intimiste ; un voyage en enfance avec cette question-là : « Du plus loin qu'il m'en souvienne, qu'est-ce qui m'a donné l'envie d'accompagner les autres ? »

Et elle qui est là, encore troublée, partage un peu ce qui la secoue au-dedans d'elle : « Et moi, qui a pris soin de moi ? »

C'est la question que j'avais ajoutée pour ceux qui aimeraient aller plus loin dans ce voyage en silence. Alors, pour prendre soin d'elle ce soir-là, j'ai vérifié qu'elle était bien accompagnée, aujourd'hui et par ailleurs ; un instant apaisée, elle n'a pas eu besoin d'en dire davantage ici. Le chemin était ouvert sur une question première : Pourquoi choisir le métier d'aider les autres ?

Le coach est un blessé et un artisan du lien. Le désir d'accompagner prend souvent sa source dans un manque essentiel, une blessure de l'attachement et d'autrefois : l'insécurité ou l'ambivalence affective, le désir d'être aimé pour soi et avant tout ; la peur de l'abandon ou du rejet…

Ce sont aussi parfois des blessures plus traumatiques : la violence silencieuse, l'abus physique ou psychique ; la folie ou la mort, tout près de soi et dans la première enfance…

Comme une cicatrice initiatique. Il est bon d'être accompagné en profondeur pour retrouver ce manque originel et puis en prendre soin ; non pas pour se complaire dans sa blessure mais pour la cicatriser et en faire une source consciente de son talent, comme une entaille initiatique. Sinon, le risque est grand de se lancer dans ce métier comme un « preneur d'otages » : pour prendre en charge les autres plutôt que soi, par compensation et à son insu.

Le désir de donner ce qui a manqué

Les écoles de coaching affichent d'emblée la nécessité pour tout apprenti-coach d'entreprendre un « travail sur soi », au plus tôt et par-delà l'école. Cela, pour cultiver une plus claire conscience de son histoire personnelle et de ses résonances en séance. Et, en même temps, rares sont les indications sur la nature de ce travail : thérapie ou psychanalyse ? En face à face ou sur le divan ? En individuel ou en groupe ?

S'il n'y a ni guide ni boussole ici, j'aime croire que c'est parce que les détours et les impasses, les évitements et les échappées belles font partie du voyage. Et à chacun son voyage, comme un parcours initiatique.

Eclipse de mémoire

Quand elle entre à l'école du coaching, Gabrielle choisit une thérapie brève. Cela lui semble bien dans l'esprit du coaching : un objectif tangible, une approche résolutoire et une durée limitée. Elle est supervisée, elle a déjà suivi de nombreux stages de développement personnel et s'est formée aux basics du « peuple coach » : PNL, communication non violente, systémique familiale...

Et c'est avec une demande singulière qu'elle arrive à sa première séance : « J'aimerais retrouver un peu des souvenirs de mon enfance : les dix premières années de ma vie jusqu'alors cachées ou oubliées hélas, mais sans trop savoir pourquoi. » Pour ça, la thérapeute lui suggère d'aller voir ailleurs. Mais Gabrielle préfère oublier encore son histoire ancienne et apporte en séance ce qu'elle vit avec ses clients du moment et de longtemps ; des entreprises où se déploie dans les coulisses une violence qui lui semble ordinaire : les rapports de force toujours, les conflits souvent, le harcèlement parfois…

Elle est tout à la fois attirée et effrayée par ces mondes barbares où elle a le talent d'apaiser un peu les conflits et d'aider à traverser cahin caha les crises et le chaos. C'est pour elle douloureux mais confusément familier.

Une relation sécure et inédite

Les techniques de sa thérapeute, ici - les recadrages (« le rapport de force comme une forme du lien, parfois »), des prescriptions paradoxales (« oser le conflit plutôt que le fuir »), l'approche comportementale (« cultiver les moments ressource ») - ne font pas long feu avec Gabrielle. « Non, je ne vous résiste pas, soutient-elle. Au contraire ! » Car c'est la relation singulière qui se crée entre elles qui l'apaise au fond ; une relation ni clinique ni interventionniste, mais sécure et inédite pour elle. Une manière d'être en lien, sans savoir ni vouloir, dont elle s'imprègne aussi pour aller dans l'entreprise, là où la violence bat son plein : harcèlement inversé, burn-out, suicide…

Alors, de séance en séance, la thérapeute aime perdre aussi un peu la mémoire, la mémoire de ses techniques. Et finalement cette thérapie brève va durer bien plus d'une année.

Mais ça s'arrête soudain parce que les situations difficiles, un instant résolues, resurgissent avec plus d'intensité plus près de Gabrielle : avec ceux qu'elle choisit comme partenaires d'affaires. Ainsi, une coopération de longtemps qui vire au bras de fer destructeur ; un contrat en sous-traitance qui ressemble à un jeu sado-maso… Tout cela fait ressurgir des morceaux d'un passé douloureux qui restent comme les pièces éparses d'un puzzle. Alors, Gabrielle arrête avec sa thérapeute comme le font parfois ses clients et ses partenaires : d'un coup d'un seul, sans plus de mots et pour aller voir ailleurs. De la fusion à la rupture, comme une autre histoire familière.

Développeur de potentiel ou médiateur, entraîneur ou médecin de l'âme, communication non violente ou combat thérapeutique… La spécialité du coach, sa posture et les approches qu'il choisit parlent tout à la fois de ce qu'il cherche à résoudre et de son talent. C'est pourquoi il recherche, plus ou moins consciemment, des univers professionnels qui ont un « air de famille » avec ses manques. C'est là qu'il peut à la fois rejouer son histoire et tenter de la dépasser. Mais sans l'aide d'un autre c'est illusoire.

C'est le besoin de sécurité affective qui est parfois à l'origine première du désir d'accompagner. Bienveillance, non jugement, acceptation inconditionnelle… ce sont les maîtres-mots du coach qui aime donner aux autres ce qui jadis a fait défaut, un peu, beaucoup, à la folie… Cela lui permet aussi de se restaurer ; mais un peu seulement, car sans la claire conscience de ce manque, l'élan vers les autres reste avide et laisse finalement un goût de vide au sortir des séances.

Les thérapies comportementales soulagent un instant et un peu plus, mais elles laissent intactes et dans l'ombre les blessures anciennes. Un coach ne peut pas accompagner ni se développer durablement dans son métier, si lui-même n'est pas accompagné en profondeur.

 

A retenir

• La singularité du coach parle à la fois de sa blessure et de son talent.

• Les thérapies comportementales sont un premier secours.

 

L'autre, comme une énigme à résoudre

Tentative d'effacement

Au sortir de sa thérapie brève, Gabrielle imagine un instant effacer les fragments douloureux de sa mémoire passée. Car il y a alors sur le marché des thérapies une approche innovante qui l'intrigue et l'attire : l'EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing), une technique qui stimule le cerveau par une série de mouvements oculaires pour qu'il « digère » les affects négatifs liés aux souvenirs traumatisants du passé. Gabrielle contacte un, deux et trois psys spécialistes de cette nouvelle technique, elle les relance tour à tour, mais aucun ne lui répond.

Alors, pour vraiment plonger dans son histoire intime, Gabrielle décide de rejoindre un groupe de gestalt-thérapie. Cette approche postule que nos manques affectifs et de jadis sont des « histoires inachevées » que nous n'avons de cesse de rejouer à notre insu et dans nos relations d'aujourd'hui. Il y a dans ces répétitions compulsives et inconscientes le besoin de trouver une autre issue. Mais chaque tentative réveille aussi la douleur ancienne et crée de nouveau une « impasse du contact ». Alors, le rôle du gestalt-thérapeute est de débusquer ces répétitions anachroniques et puis, par l'exploration avec le patient, d'expérimenter des « ajustements créateurs » et ainsi des manières plus souples d'être en relation.

« Pourquoi me regardes-tu ? »

C'est une femme qui anime ce groupe de thérapie. Et ça tombe bien ! Parce que Gabrielle sent bien tout au fond d'elle que c'est avec la femme qu'elle a encore besoin de cheminer. « Et aussi d'en découdre ! » lui a lancé la thérapeute dès leur première rencontre. Gabrielle est restée bouche bée et puis a questionné :

- Que voulez-vous dire ?

- En découdre avec la femme première ! a-t-elle ajouté en souriant.

La rencontre s'est arrêtée là ; sur une énigme, sur l'ambivalence entre attirance et défiance. Une ambivalence à fleur de peau de Gabrielle.

Quelques semaines plus tard, c'est la première séance en groupe pour elle. Ça se passe dans une maison de campagne au bord d'un jardin de curé, comme dans son enfance. Cinq autres femmes sont déjà là, assises en arc de cercle sur des sofas profonds et de velours, au milieu des coussins et des plaids. Gabrielle choisit un fauteuil d'osier un peu à l'écart du groupe. La séance commence dans le silence.

- Mais pourquoi me regardes-tu comme ça ?! lance-t-elle sans crier gare à la thérapeute qui, jusqu'alors, ne demandait rien à personne.

Toujours le silence. Et dans ce silence-là, Gabrielle se souvient soudain ; elle se souvient de la place qu'elle prenait jadis : toujours à bonne distance de la « femme première » ; pour mieux la guetter et tenter ainsi de comprendre ses agissements. Et elle aussi semblait parfois l'épier ou simplement la dévisager. Mais toujours sans un mot. « Pourquoi me regardes-tu comme ça ?! » lançait alors Gabrielle. Pour la faire cesser ou bien, peut-être, pour savoir ce qu'il y avait entre ses cils, tout au fond de ce regard-là ? Elle raconte tout ça d'un trait, là, au bord du groupe, troublée, désemparée. Et puis elle se ressaisit. Non, elle ne veut pas aller plus loin maintenant. Elle préfère observer.

- Il y a une place là, tout près de moi, si tu veux ? lui propose la thérapeute.

Gabrielle hésite. Elle sent bien que là-bas, à fleur de femme, à fleur de peau, quelque chose pourrait changer. Mais elle reste là, pour comprendre d'abord comment ça se passe ici.

Il y a souvent un autre entre soi et les autres ; une figure du passé, avec tous les affects et les manques, tous les jeux et les histoires d'alors. Et c'est cet autre que nous cherchons, au présent, pour tenter de combler ce qui a manqué. Le groupe est un haut-lieu de répétition de ces histoires familières. Et la thérapie en groupe favorise la prise de conscience et la reconnaissance de ces jeux-là ; et puis, au fil des frottements et des ajustements, guidés par le thérapeute, elle ouvre peu à peu sur d'autres dénouements.

Le coach est comme un profiler. Il a développé une haute acuité pour deviner l'autre, le sentir et tenter de le comprendre. Cette acuité vient d'un besoin profond de contrôler la relation et de s'en protéger quand les liens premiers ont été ambivalents ou insécures : qu'y a t-il derrière le regard de l'autre, derrière ses gestes ou ses mots ? Et c'est ce besoin de résoudre une énigme originelle, qui est aussi à la source du désir d'accompagner.

J'aime croire que les outils de profilage qu'utilisent parfois les coachs (PCM, MBTI...) sont des tentatives pour résoudre cette énigme.

Au fil du travail sur soi, le coach comprend que le mystère que représente l'autre reste insaisissable. Sauf des instants de grâce, parfois, comme des épiphanies. Alors sa posture d'enquêteur, centré sur ses questions et ses analyses, s'assouplit. Il devient anthropologue, toujours candide, prêt à l'étonnement et profondément curieux de la planète singulière de l'autre. C'est cette compétence souple qui permet à ceux qu'il accompagne de se rencontrer vraiment.

Sortir de la violence

« Tout ça est trop cruel ! »

Au fil des séances, des souvenirs d'enfance reviennent à la mémoire de Gabrielle : les baisers sur la joue durs comme des cailloux ; les dessins de l'école enfantine avec une petite fille et des cicatrices sur la peau, toujours ; les bons points volés en douce pour avoir plus d'images et un prix...

Les pièces du puzzle jusqu'alors éparpillées dessinent une forme sensible : le désir de tendresse, le besoin de dire à l'entour l'indicible et l'incompréhensible, les entourloupes pour être aimée...

Ce jour-là, en séance, la thérapeute commence un travail avec Emma, une jeune femme qui se plaint de son sort, de son couple. Elle gémit sur sa vie qui est ratée, sur toute sa vie jusqu'à ce jour ! La thérapeute l'arrête d'emblée : « Emma, plutôt que t'écouter encore et encore et puis te câliner comme la séance d'avant, je te propose autre chose aujourd'hui : aller au bout du bout de ta plainte, là, avec chacun de nous et tour à tour. » La jeune femme, d'abord surprise, hésite et puis esquisse un sourire. Gabrielle interrompt son élan :

- Mais pourquoi ne pas câliner Emma encore un instant ? demande-t-elle.

- Parce que ces instants-là sont doux mais perdus à jamais ! Laisse-moi faire et je m'occuperai de toi après, répond la thérapeute.

Alors, au fond d'une malle en osier et de l'enfance, au milieu des peluches et des ballons, Emma choisit une vieille couverture, un peu trouée, un peu tachée ; et, vêtue de cette peau d'âne improvisée, elle commence à défiler devant le groupe et reprend ses jérémiades. Gabrielle s'inquiète et s'agite comme un lapin de quelques semaines. Emma reprend de plus belle, fait des grimaces devant chacune et crie sa rage de l'instant et de longtemps. Quand elle arrive devant Gabrielle, celle-ci lance à la thérapeute :

- Mais arrête tout ça ! C'est trop cruel !

Et puis elle reste blottie là, au fond de son fauteuil, hagarde et sidérée. La thérapeute suspend un instant le travail avec Emma :

- Gabrielle, tu nous diras juste après ce que « tout ça » t'évoque. Et je prendrais soin de toi.

Gabrielle a alors oublié Emma et son histoire pour repartir un long instant en enfance. Et de ce voyage-là elle a rapporté dans le groupe une scène oubliée qui se répétait souvent : une plainte et puis des cris, entre la mère et l'autre enfant, la sœur ainée... Et ça finissait toujours mal, très mal. Et elle était le témoin démuni de tout ça. D'autant plus démunie qu'elle se sentait l'enfant préférée, et qu'elle savait tout faire pour ça, pour tirer son épingle du jeu, du jeu de l'amour. Et, en même temps, elle aurait tant aimé prendre soin de l'une et de l'autre et puis les réconcilier.

Non, il n'y a rien à dire de plus. Elle voudrait juste changer de place, si c'est possible ? Et elle quitte enfin son fauteuil d'osier pour venir se blottir là, tout contre la thérapeute qui la câline et, en même temps, poursuit la séance.

 

L'art de guérir par le conflit. Communication non violente, stratégie de la bienveillance, médiation... Autant d'approches qui séduisent le coach quand il a côtoyé de près la violence verbale ou physique, silencieuse ou symbolique. Comme un antidote. Mais ces approches peuvent finir par abrutir, anesthésier et mettre sous dépendance ceux qu'il accompagne. "Le combat thérapeutique" est une alternative à contre-courant, décalée mais féconde. C'est Gérard Salem, psychiatre et psychothérapeute, qui propose d'engager le duel, non pas avec la maladie, mais avec le patient quand celui-ci s'incruste dans son personnage de malade. Non pas le duel ablatif médiéval qui élimine l'adversaire mais le duel constructif.

Alliance conflictuelle, escarmouches et raclées symboliques, stratégies provocatrices et ordaliques, surprise thérapeutique, art de la guérilla… Autant d'approches transposables en coaching.

Le combat thérapeutique. « L'expérience du vide, du manque, du trauma, de la mystification et la façon dont on y survit ; l'interdit d'avoir une pensée propre ; la mission de mener sa vie selon des injonctions inculquées précocement ; voilà autant d'expériences qui préparent de bonne heure n'importe qui à devenir la pâture consentante de la machinerie médicale et psychiatrique [...].

Un thérapeute vigilant doit avoir conscience du véritable défi que ces patients lui lancent. Comment pourra-t-il les extraire de leur confinement, les remettre en mouvement ? Comment saura-t-il élargir et diversifier leur conscience d'eux-mêmes et du monde, et les remotiver à tirer davantage profit de la vie ? En un mot, quel combat doit-il leur livrer pour les guérir ? » Gérard Salem, Le combat thérapeutique, Editions Armand Colin, p. 67

 

La rage retournée contre soi

Après cette séance-là, Gabrielle s'est sentie envahie d'un besoin irrépressible de doux et de tendre. Elle sait bien que ceux qu'elle aime et qui l'aiment, tout proches d'elle, lui donnent ça un instant et plus ; mais elle sait aussi qu'ils finissent par lui dire que c'est « un puits sans fond ». Alors elle s'est offert de longues, longues, séances de massage. Mais elle est restée profondément chamboulée après. Et puis triste surtout ! Et quand elle raconte ça, là, au milieu du groupe, elle passe la pointe de son ongle, machinalement, inlassablement, le long de son bras, là où la peau est si douce.

- Que fais-tu quand tu fais ça ? demande la thérapeute.

- Quand je fais quoi ?!

- Ce mouvement-là avec tes ongles ?

- Rien, je ne fais rien !!

- Certains aiment le faire avec un objet coupant.

- ...

- A qui aurais-tu aimé faire ça ?

C'est à partir de là que Gabrielle vacille. Derrière sa douceur de toujours et sa tristesse d'aujourd'hui, il y a beaucoup de colère. Une rage contenue et retournée contre elle. Alors la thérapeute l'invite au combat. Un combat non sanglant, contre elle et à mains nues.

Gabrielle hésite à peine. Elle s'en prend d'abord à quelques objets autour d'elle. Et puis elle se lâche. D'abord un gémissement et puis un cri ; et enfin l'attaque, frontale, contre la thérapeute. Celle-ci connaît bien son affaire, elle se sait « surface de transfert ». Alors elle encourage et, en même temps, elle amortit les coups. Gabrielle l'insulte et la tacle, la plaque sur le tapis de laine transformé pour l'occasion en tatami. Le combat dure de longues minutes. Ça se termine dans la sueur et les larmes, dans une étreinte et la tendresse. Parce qu'au fond, les extrêmes se touchent.

Être le témoin impuissant d'une violence diffuse, de surcroît entre des êtres aimés, est peut-être tout aussi douloureux que d'en être la victime directe. C'est pour tenter de sortir de cette impuissance, reprendre un rôle actif dans son histoire, que Gabrielle intervient aujourd'hui au cœur d'entreprises où la violence se déploie à foison et en coulisses.

Et, en même temps, cette violence qu'elle sait recevoir et contenir aujourd'hui s'ajoute à celle d'autrefois. Sortir de la violence, c'est pouvoir sortir la violence ; la violence reçue, contenue, indicible, et éviter ainsi de la retourner contre soi ou les autres. La gestalt-thérapie fait toute la place à cette agressivité-là. Elle permet la mise en acte qui évite le passage à l'acte.

A retenir

 Il y a des traumas émotionnels qui, tout comme les ravages de la radioactivité, ne peuvent être ni vus ni détectés mais qui ont une influence toxique à l'entour et sur plusieurs générations.

• « Il faut une épine pour ôter une épine ! » adage indien

 

Créer un autre avenir que son passé

Gabrielle a cheminé longtemps et encore en compagnie de cette femme et du groupe. Chemin faisant et sans souci de l'imposture, elle a aimé ajouter une posture de thérapeute à sa manière d'accompagner en entreprise, là où la violence redoublait.

Et, en même temps, il lui semblait manquer une présence essentielle sur ce chemin nourricier et initiatique. Alors elle a pris le temps et le soin de la clôture. Ni rupture ni silence toxique cette fois-ci ; ces deux femmes-là, amoureuses de thés rares et des jardins sont devenues cousines d'âme.

C'est la présence d'un homme qui, sur le chemin du retour à soi, manquait à Gabrielle. Comme dans la petite enfance, quand le « premier homme de sa vie », celui qui aurait pu poser des limites face au chaos, quelques mots face à l'absurde, restait silencieux et en retrait.

Pour poursuivre son voyage, Gabrielle a choisi la compagnie d'un philosophe, à l'écart des pratiques du « peuple psy ». Au fil de ce voyage-là, pas plus de repères que ses réponses à elle et de toujours : l'imperfection et la brutalité du monde, l'absence d'un sens donné a priori... Et tout le contraire aussi. Alors elle aime se dire qu'elle a choisi sa famille pour forger son talent singulier.

Aujourd'hui, elle continue son voyage sur le divan. C'est pour elle un moyen d'aller au bout du bout de l'enfance et ainsi de découvrir qu'il ne tient qu'à elle d'avoir un autre avenir que son passé.

A retenir

• Le coach est un artisan du lien, tout aussi doué aujourd'hui qu'il fut blessé jadis.

• Il accompagne comme il aime être accompagné.

• C'est de la maladie d'amour dont il cherche à guérir, au fond et en vain.

 

Pour aller plus loin

Denis Marquet, Eléments de philosophie angélique, Albin Michel, 2010

Gérard Salem, Le combat thérapeutique, Editions Armand Colin, 2011

Daniel Sibony, Le Peuple psy, Balland, 1993